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leurs domaines propres, la théologie, l’histoire sacrée. Et si même ils n’étaient plus que les gardiens d’un glorieux souvenir, notre devoir de reconnaissance n’en subsisterait pas moins. Devoir particulièrement étroit pour nos compagnies littéraires et savantes, qui sont vraiment les filles de l’institut bénédictin. Disons-le en passant : nul ne se fût étonné que leur voix s’élevât en faveur de ces Pères que l’on chasse.

J’entends bien l’objection que ce mot soulèvera. — On ne les chasse pas : on leur impose une formalité légale ; ils se révoltent contre la loi commune ; ils partent de leur plein gré pour s’y soustraire. — Les personnes peu familières avec l’histoire ecclésiastique doivent penser, en effet, que c’est bien du bruit et de la bouderie pour une petite phrase qui n’a rien de si méchant : « Se soumettre à la juridiction de l’ordinaire. » Ne voilà-t-il pas une belle matière à querelles de moines ? — Il y va en réalité, pour ces moines, de la perte de leur personnalité.

L’homme ne se renonce jamais entièrement ; ou du moins, s’il se renonce au profit d’un grand corps qui l’absorbe, il transporte sur ce corps tous les sentimens humains qu’il a abdiqués pour son propre individu. Indépendance, prérogatives, esprit de famille, et même amour-propre si l’on veut, ces mots qui n’ont plus de sens pour la personne du moins gardent sur lui tout leur empire quand ils intéressent la communauté où il s’est fondu. Exigez donc d’un régiment fameux, favorisé depuis longtemps d’une constitution autonome, qu’il renonce à ses privilèges et change brusquement de nom, d’uniforme, de chefs, de drapeaux… Ces soldats, rompus à l’obéissance passive, frémiront de colère. Vous demandez à l’aîné des ordres monastiques, si fier de sa glorieuse histoire, de biffer d’un trait de plume ses franchises, et tout d’abord celle pour laquelle il a combattu depuis son origine. Vous lui demandez de céder sur le point qui lui tient le plus à cœur. La lutte des abbayes contre les empiétemens de l’autorité diocésaine est aussi vieille que leur existence ; les concessions arrachées aux moines leur coûtèrent cher, elles amenèrent le régime des abbés commendataires et tous les abus qui s’ensuivirent.

Vous prenez parti dans cet ancien litige, — et la posture est plaisante, — contre les champions d’un mouvement démocratique, pour les représentans du principe féodal. Guizot a très bien vu l’analogie entre la lutte des communes contre les