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quand ils ont vaincu, sa tâche accomplie, elle s’y couche, en saluant pour la dernière fois, délivrées et glorieuses, ses montagnes chéries.

On peut trouver en ce drame plus de grandeur et de poésie que d’unité. L’intérêt s’y partage un peu trop entre des héros divers, alliés plutôt que compatriotes : les comtes de Foix, pendant les deux premiers actes ; au troisième, les Espagnols et le roi Pierre. Et puis, une autre chose, au premier abord, nous déconcerte et nous gêne : c’est que la patrie glorifiée par le poète et le musicien n’est pas leur patrie d’aujourd’hui, mais une terre d’autrefois, plus vague, ou du moins autrement définie, ayant les Pyrénées pour centre et non pour frontière ; cette patrie enfin, qu’on pourrait appeler romane, où quelque chose de ce qui est devenu l’Espagne se mêlait encore avec un peu de ce qui a formé la France. Et ce mélange est de l’histoire sans doute. Il ne laisse pourtant pas, ne fût-ce qu’un moment, de jeter un peu d’incertitude sur le sentiment national de l’œuvre dramatique et de diviser pour ainsi dire la notion même de la patrie.


III

Les formes de l’œuvre musicale sont bien celles dont M. Pedrell, en sa brochure, se déclare le partisan. Usage modéré du leit-motiv, prédominance d’un lyrisme toujours vocal et mélodique sur la polyphonie de l’orchestre, à cela se réduisent les procédés ou le système du musicien. Quant au fond, il est constitué par les deux élémens que l’auteur de Por nuestra musica regarde comme les plus précieux. L’un est le génie des grands artistes espagnols (ceux du « siècle d’or ») ; l’autre est le génie de l’Espagne elle-même, et tout entière, telle que depuis l’origine les siècles et l’histoire l’ont faite. Mais ces deux élémens, le musicien se garde avec soin de les employer à l’état brut. Sous peine de n’être plus qu’un copiste, un plagiaire, il faut qu’il les prépare et les travaille. Dans le drame lyrique d’aujourd’hui l’instinct et l’art doivent s’unir. « Il importe que la mélodie populaire, cette voix des foules, cette inspiration ingénue et primitive du grand chanteur anonyme, passe par l’alambic de l’art contemporain et donne sa quintessence[1]. » Le compositeur s’en nourrit et se l’assimile. Tout ce que peut contenir la mélodie, il l’en dégage, « grâce à l’extraordinaire puissance de développement que les siècles passés ne connurent point et que notre époque a conquise[2]. » Ainsi l’ancienne

  1. Por nuestra musica, p. 36.
  2. Ibid., p. 39.