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celui qu’il jugeait primordial, il en déduisait tous les autres par un procédé d’imagination raisonnée qui lui donnait le plus souvent des résultats qui le charmaient et lui semblaient, comme ils l’étaient, en effet, intéressans à plusieurs points de vue. D’autre part, lecteur encore plus assidu de nos meilleurs auteurs, appréciateur délicat de toutes les finesses de leur art, il regrettait qu’on n’eût pas donné suite au projet de Voltaire et illustré le dictionnaire par des citations empruntées à leurs écrits qui, à la fois, auraient aidé à mieux comprendre ces écrits et auraient jeté une lumière précieuse sur les emplois les plus heureux et les plus variés de ces mots. Il roulait ces idées dans sa tête et se demandait s’il pourrait les mettre à exécution, quand le dictionnaire de Littré commença à paraître.

Ce dictionnaire semblait réaliser, et au-delà, les idées mêmes auxquelles Hatzfeld rêvait de donner un corps. Littré, en effet, attachait une grande importance à la rigueur des définitions. Il montrait ce qu’il y a de fâcheux à définir un mot par des synonymes dont chacun à son tour est défini par les autres, procédé dont la triade : antre, caverne, grotte ; caverne, antre, grotte ; grotte, antre, caverne, est un exemple connu. « La discussion des synonymes, ajoutait-il, m’a souvent averti de prendre garde aux nuances et de ne pas recevoir comme une véritable explication le renvoi d’un terme à l’autre. C’est entre tant d’objets qu’un dictionnaire doit avoir en vue un de ceux auxquels j’ai donné le plus d’attention. »

Pour ce qui concerne le classement des sens, il n’était pas moins explicite ; à la différence du Dictionnaire de l’Académie, qui range les sens en partant du plus usuel, — ce qui ne peut naturellement se poursuivre avec quelque certitude lorsqu’un mot a un grand nombre de sens, — il prétendait ranger les significations dans leur ordre naturel et même nécessaire. « Ce n’est point au hasard, dit-il, que s’engendrent, dans l’emploi d’un mot, des significations distinctes et quelquefois très éloignées les unes des autres. Cette filiation est naturelle, et, partant, assujettie à des conditions régulières tant dans l’origine que dans la descendance. » Il est possible, il est même « indispensable de soumettre la classification à un arrangement rationnel, sans désormais rien laisser à ce fait tout accidentel de la prééminence de tel ou tel sens dans l’usage commun, et de disposer les significations diverses d’un même mot en une telle série que l’on comprît, en