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large bow-window dont s’éclaire la riante bibliothèque de mon ami ; c’est là que je me pris à l’interroger sur ses travaux récens et sur l’évolution de sa pensée. Je savais combien le champ des recherches védiques est en ce moment retourné en tous sens, par les efforts de l’Allemagne érudite ; mais les vastes espoirs du jeune savant m’étonnèrent néanmoins : il revenait précisément d’un séjour de quelques semaines auprès de son éminent maître et confrère, le professeur Deussen, de Kiel.

— Cet homme extraordinaire, me dit-il, rappelle les Titans du début de notre siècle, les Grimm, les Humboldt, par l’ampleur de ses plans et par l’intrépidité de ses projets. Il prépare une histoire générale de la philosophie, considérée surtout dans ses rapports avec la religion, et il a mis vingt ans à pénétrer les seuls débuts de la pensée hindoue. Il l’a fait d’ailleurs de façon définitive, et ne laisse guère à glaner derrière lui. Sa « philosophie des Oupanischads, » qui couronne cette première partie de son œuvre, a arraché un cri d’admiration et d’espérance à nos modernes réformateurs religieux.

— Eh quoi ! objectai-je avec étonnement, en seriez-vous encore à implorer de l’Inde ses leçons métaphysiques pour en tirer une foi aristocratique et raffinée ? Ce genre de snobisme n’a pas gardé longtemps chez nous le sceptre de la mode.

— C’est que vous apercevez la pensée de l’Extrême-Orient à travers les messes bouddhiques du Musée Guimet, avec leur assistance bien parisienne et leurs chuchotemens académiques. Ici, nous sommes plus lents à nous émouvoir, mais aussi plus tardifs à nous désabuser. Je ne parle pas tout à fait pour moi en ce moment, car, est-ce l’effet de mes fréquentations anglo-françaises ? j’apparais aussi sceptique à certains de mes compatriotes que vous allez me juger au contraire naïf et facile à séduire. Sachez cependant que l’œuvre du professeur Deussen a été saluée parmi nous comme l’aurore d’une seconde Renaissance, bien plus radicale en ses conséquences que son aînée du XVe siècle, car elle est destinée à renouveler enfin de façon efficace la pensée religieuse que la première s’est, en somme, montrée incapable d’engager dans une voie féconde.

— Oh ! vous nous annoncez cette Renaissance-là depuis tantôt un siècle : ne fut-ce pas la promesse de Schlegel, lors des débuts embarrassés de la science védique ? Et nous ne voyons toujours rien venir. D’ailleurs, je vous trouve sévère pour cette