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connais pas de nom pour notre cas : passé, futur, le grand Tout ? » La fiancée de Novalis, une petite fille à peine échappée de l’école, « ne croit pas à la vie future, mais à la métempsycose. » Et Jean-Paul a abusé de ces moines artifices dans son roman de Sélina, dont Schopenhauer raille si amèrement l’absurdité. En tout cela, il y a une bonne part de littérature, je vous l’accorde : mais Mme de Staël trouva cette croyance plus sérieusement établie parmi nous.

— Cela est vrai, dis-je, et j’en tombe d’accord, car mes souvenirs de son Allemagne sont assez précis. Elle considère la métempsycose indoue comme empreinte d’une profonde tristesse. Les œuvres d’art de ce pays, dit-elle, montrent partout, dans les animaux, dans les plantes, la pensée captive et le sentiment renfermé s’efforçant en vain à se dégager des formes grossières et muettes qui les enchaînent. Aussi le système du physicien Schubert lui semble-t-il plus consolant, pour avoir du moins représenté la nature comme une métempsycose ascendante, où, depuis la pierre jusqu’à l’existence humaine, on reconnaît une promotion continuelle, entraînant le principe vital de degrés en degrés vers le perfectionnement le plus complet. Elle constate encore que, afin de conserver quelque idée religieuse au sein de la nature déifiée, l’école de Schelling suppose que l’individu périt en nous, mais que les qualités intimes qui lurent notre partage rentrent dans le grand Tout de la création éternelle. — Tout cela est bien nébuleux, bien germanique, serais-je tenté de dire, si, sous l’influence de votre grande école philosophique, nous n’avions eu nous aussi notre crise de mysticisme vers le premier tiers du XIXe siècle. Il faut l’avouer, on a vu Jean Reynaud, Pierre Leroux, leur docile élève George Sand et sa Consuelo, Victor Hugo lui-même, Lamennais, le Père Gratry peut-être, et bien d’autres, pencher plus ou moins ouvertement vers les doctrines de la migration des âmes. — Même Enfantin, dans sa vieillesse rangée et bourgeoise, affirmait à ses disciples ébahis qu’il se souvenait d’avoir été saint Paul. — Mais notre esprit logique et précis se pose plus clairement que vous autres la question de l’avenir réservé aux âmes voyageuses. Mme de Staël s’attardait déjà à cette objection angoissante, après avoir analysé les vues de Schelling. « Cette immortalité-là, écrit-elle, ressemble terriblement à la mort. Voudriez-vous donc, disent-ils en Allemagne, ressusciter avec toutes vos circonstances