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fois de plus avec Mme de Staël : « Cette immortalité-là ressemble terriblement à la mort. »

— Vous êtes difficile, car certains de nos contemporains paraissent disposés à s’en contenter. Votre George Sand, à qui Nietzsche trouvait un aspect si germanique — grâce à son aïeul Maurice de Saxe, sans doute, — George Sand a écrit, lors de sa période intellectuelle la plus désordonnée, je vous l’accorde : « À supposer que je n’aie point d’âme, c’est-à-dire qu’une vitalité capable de me reconstruire à l’état humain ne me survive pas, je suis sûre de laisser une pierre sous le sable, c’est-à-dire un ossement tranquille, qui deviendra un élément quelconque de vitalité. » « Notre ami rentre dans le circulus universel, » proclamait avec enthousiasme on ma présence un apôtre de la crémation, devant le four où se transformaient les restes d’un adepte de ce mode de sépulture. Un de vos écrivains, M. Jean Finot, vient encore de bâtir un volume sur ce thème. Et déjà Schopenhauer recommandait ces considérations à quiconque ne se sentait pas le souffle nécessaire pour l’accompagner dans les régions vertigineuses de la palingénésie transcendantale. « La matière, par sa persistance absolue, nous assure une indestructibilité au moyen de laquelle un esprit qui n’est pas capable d’en concevoir une autre peut, jusqu’à un certain point, se consoler par l’assurance d’une sorte d’immortalité… Cette matière, qui vous paraît momentanément réduite en cendres ou en poussière, va bientôt, dissoute par l’eau, s’adjoindre au cristal brillant, scintiller dans le métal, y produire des étincelles électriques éblouissantes ; bien plus, elle va se transformer en animal et en plante, pour faire fleurir à nouveau, hors de son sein mystérieux, cette vie dont la perte promet de telles angoisses à votre ignorance. N’est-ce donc rien du tout que de durer sous forme de matière ? Si fait, et je prétends sérieusement que cette persistance de la matière porte témoignage en faveur de l’indestructibilité de notre être véritable (Volonté) au moins à titre d’image, de comparaison, de silhouette et d’ombre, car la nature ne ment pas[1]. »

Cependant, comme vous l’affirmiez justement tout à l’heure, l’esprit humain ne saurait se contenter longtemps d’une pareille promesse d’immortalité ; et, en fait, il a bientôt édifié de nouveau sur ce fondement réel et solide les capricieuses

  1. Well als Wille, édition Reclam, II, p. 553.