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payer ses dettes, négociera avec les maîtresses qui ont cessé de plaire et ne reculera pas devant les plus scabreuses missions de cette diplomatie intime à laquelle il faut parfois donner de si vilains noms. Il niera devant le parlement certain mariage dont il connaît mieux que personne la réalité. Ce n’est pas la dernière surprise que nous réserve ce Fox tant admiré et tant aimé, qui représente, pour ses contemporains, tout ce qu’il y avait encore de noblesse, de sincérité, de chevaleresque droiture dans la vie politique d’alors.

De 1783 à 1793, l’histoire parlementaire n’est plus qu’un duel entre Pitt et Fox. Lorsque le ministre se croit assez fort pour jeter le gant, il dissout la Chambre et la lutte s’engage. Tout l’intérêt semble se concentrer sur l’élection de Westminster, qui dure de longues semaines et où Fox est personnellement en jeu. Les caricatures nous font assister à tous les épisodes de la grande bataille. Cecil Wray, le concurrent du grand orateur libéral, a parlé de supprimer l’hôtel des Invalides de Chelsea et de mettre une taxe sur les servantes : Gillray nous le montre houspillé, mis en fuite par les forces combinées des cuisinières et des vétérans, les unes armées de balais et les autres brandissant leurs béquilles. C’est Georgiana, la duchesse de Devonshire, qui mène les troupes libérales au combat, et son imposant profil apparaît de compagnie avec le cabaretier à tête chauve, l’honnête Sam, qui abreuve gratis ses amis politiques. Dans un dessin de Rowlandson, elle offre, impassible, ses lèvres à un gros boucher, qui vend son vote à ce prix. Dans un autre, elle tend son petit soulier à raccommoder à un savetier, qu’elle paiera d’une poignée d’or. Ailleurs elle marche à l’assaut des hustings, suivie d’un régiment de jolies femmes habillées en soldats. Finalement, elle entre à Westminster, portant le vainqueur sur ses épaules.

Pendant que Fox était acclamé à Westminster, son parti essuyait une défaite signalée dans le reste de l’Angleterre et Pitt rentrait au parlement avec une majorité derrière lui. C’était le triomphe de ce parti de la Prérogative royale qui n’avait pas de place dans la Constitution et qui prétendait, dans les Brunswick, ressusciter les Stuarts. On le nommait le parti de l’escalier de service. En réalité, c’était le parti de la Cour, et tout ce que la Cour possédait encore de grâces, d’honneurs et de sinécures à distribuer, les ministres l’avaient employé à séduire les électeurs influens. L’or des nababs avait fait le reste. Pourtant il fallait