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Temple équivalait presque à une reconnaissance des faits accomplis et à une promesse de neutralité. Qui trompait-on ? Les membres du nouveau gouvernement français ? Pas un ne s’y laissa prendre. C’est au peuple anglais que s’adressait cette comédie de modération. John Bull, ai-je dit, ne demandait pas mieux que de s’indigner, mais ne voulait pas se battre. Cependant les événemens se succédaient, enchérissant d’horreur les uns sur les autres : crimes sur crimes. D’abord les massacres de Septembre, puis le procès et la mort du roi. Sur les massacres, Gillray publia une caricature atroce à regarder, où son imagination avait trouvé moyen d’exagérer le forfait et de calomnier les assassins. C’était une « petite fête parisienne. » La table du banquet reposait sur des troncs humains ; tout ce que la cruauté et la folie peuvent inspirer à des monstres s’entassait dans cette affreuse composition. Sur la mort de Louis XVI, je n’ai pu déterrer aucun dessin, mais les journaux du temps et les débats du parlement nous permettent de voir combien l’impression produite par ce grand drame judiciaire fut vive et profonde. Pourtant, Pitt le savait bien, ce n’était pas assez ; il fallait que le peuple anglais fût touché dans ses intérêts immédiats et prochains. Pitt comptait, non sans raison, sur l’humeur agressive de ses adversaires. La fameuse circulaire du gouvernement français qui jetait une menace directe au commerce anglais rendit la guerre probable ; l’invasion des Pays-Bas par les armées républicaines la rendit nécessaire. Ouvrir l’Escaut et la Meuse à toutes les nations, c’était les soustraire au monopole britannique, mettre fin à cet état de vasselage où l’Angleterre avait réduit la Hollande et qu’un récent traité venait de consacrer. Cette fois, il fallait marcher. Malgré tout, même alors, l’opinion hésitait : Pitt donnait à entendre qu’on ferait la guerre sans la faire, une sorte de guerre purement nominale, une façon de protester, pour la forme, contre les empiétemens de la Révolution française, qui devenait la Révolution européenne. « Non, non, lui cria l’opposition. Si nous avons la guerre, que ce soit une guerre acharnée, sans trêve et sans merci, un duel à mort avec la France ! » C’est bien ainsi que Pitt l’entendait, mais il avait résolu de se faire forcer la main. Mener l’opinion en ayant l’air d’être entraîné par elle, c’est, pour, un homme d’Etat de cette trempe et de cette école, tout le secret de la politique. Ce plan ne réussit d’abord qu’à moitié. De 1793 à 1795, je suis, presque jour par jour, dans les caricatures,