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savans et les mettre à la portée de tous ! il y a pour cela des dictionnaires et des magazines. C’est l’art d’exprimer des idées mis à la portée des gens qui n’en ont pas. Ce n’est plus le théâtre d’idées, c’est le théâtre de vulgarisation scientifique. — Il est remarquable enfin, que les auteurs soient surtout amoureux de leurs défauts et prétendent en faire autant de lois du théâtre. Si les pièces de M. Donnay et celles de M. Capus méritent d’autres reproches, en tout cas, on peut leur adresser celui du décousu. « Je pense à de certains sujets, écrit l’auteur d’Amans, ils se forment lentement en moi. Comment ? je n’en sais rien ; j’y pense, voilà tout. Peu à peu, les figures se dessinent, les caractères se marquent ; des idées de scènes me viennent, des bouts de dialogue que je note. » Et l’auteur de la Veine : « Le spectateur voit ce qui se passe sous ses yeux, sans plus, sans effort pour saisir une pensée générale, d’ensemble. Si la scène l’amuse, il applaudit et voilà tout. Au fond, tout l’art du théâtre se réduit à ceci : faire de bonnes scènes. » Juxtaposer des bouts de scènes et des bouts de dialogue, c’est à quoi se réduit l’effort de composition de ces écrivains nonchalans. Nous nous en doutions, au surplus ; mais nous n’avions pas songé à leur en adresser notre compliment.

Deux traits sont à noter dans cette confession de nos auteurs dramatiques. Le premier est qu’ils se défendent de vouloir en rien être des novateurs. Ils s’accordent à répudier tout soupçon d’apporter quoi que ce soit de nouveau au théâtre. Ils protestent que, depuis Sophocle jusqu’à Dumas fils, en passant par Racine et par Scribe, l’art du théâtre est resté sensiblement le même. On ne saurait plus rien faire paraître de nouveau sous la lumière du lustre et ce serait perdre sa peine que d’y tâcher. Ce n’est pas sur ce ton que les jeunes auteurs, il y a une dizaine d’années, parlaient de leurs plus illustres devanciers, et nous voilà loin de cette fureur de dénigrement qui fut à la mode parmi des réformateurs intransigeans. Apparemment, ils avaient fait de trop belles promesses, qui furent suivies de trop peu d’effet, et il est naturel que quelque lassitude ait succédé à la fougue de leur élan. Toutefois on ne peut voir sans un peu de regret les écrivains d’aujourd’hui et de demain si défians à l’égard des progrès que leur art pourrait leur devoir. Tout a été dit ; sans doute, mais la manière de le dire n’est pas la même, et l’art ne peut vivre qu’à condition de se renouveler sans cesse. Les genres s’usent et jamais l’usure n’en avait été si rapide qu’aujourd’hui. Les seules œuvres qui comptent sont celles qui apportent quelque chose qui n’était pas dans les précédentes. Un auteur, suivant le mot de Beaumarchais, doit être un oseur. Et