Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de 16 000 capacitaires, qui ne sont pas lui, — son sens profond et puissant se révèle. De ce moment, de la fin du mois de février à la fin du mois de novembre 1848, il ne se passe pour ainsi dire point de jour, en tout cas point de semaine, sans qu’il soit légiféré sur le travail ; et, cette fois, c’est bien sur le travail lui-même, sur le travail en soi. Si, par le travail en soi, il faut entendre : la situation économique et commerciale des différentes branches du travail ; l’état ou la quantité du travail dans les différentes professions ; la situation des ouvriers et apprentis comme salaire et mode de rémunération, durée du travail et temps de repos, conditions d’admission et de résiliation, en un mot contrat de travail[1] ; il n’est pour ainsi dire pas un de ces sujets, en tout cas il n’en est guère sur lesquels il ne soit directement et immédiatement légiféré.

Le décret sur « le droit au travail » paraît au Moniteur le 29 février, mais il a été rédigé à l’Hôtel de Ville le 25 dans la matinée. En ce décret, « le gouvernement provisoire de la République française s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail ; il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens ; il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice de leur travail. » C’est-à-dire que, dans les six lignes de ces trois paragraphes, on s’engage à légiférer sur la quantité du travail, sur le taux et le mode de rémunération, sur le mode même du travail. C’est-à-dire qu’on y fait tenir non seulement la reconnaissance du droit au travail, mais la promesse de l’organisation du travail et le principe de l’association ouvrière. Pour un commencement de législation positive du travail, c’en est un assez beau et hardi commencement ! Mais, à ce même décret du 26 février, il y a un quatrième paragraphe : « Le gouvernement provisoire rend aux ouvriers, auxquels il appartient, le million qui va échoir de la liste civile[2]. » Et c’est-à-dire que les bénéficiaires de l’Etat sont changés ; ce million, qui est retiré au roi, ce n’est pas à tous les Français, aux contribuables, qu’on le rend, mais aux ouvriers, et l’on affirme qu’il leur appartient, mais qu’est-ce qui ne leur appartient pas ? Ils ont la science, la sagesse, la raison. « Ecoutez-les ; ils en savent plus

  1. Voyez, dans la Revue du 15 janvier 1899, notre étude sur l’Organisation du travail.
  2. Louis Blanc avait rédigé les trois premiers paragraphes ; Ledru-Rollin y lit ajouter le dernier.