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cris, nouvelle cérémonie, nouveaux saluts de 21 coups des 17 millimètres. (Définitivement, c’est à 164 coups par bâtiment que nous nous arrêtons, soit 3 200 ou 3 300 pour l’escadre. Cela n’est rien : en juillet 1900, pour le combat de nuit, ce fut bien autre chose.)

Et voilà. Adieu le Tsar ! adieu la Tsarine !… deux d’entre nous que leur grandeur n’appellera pas au rivage, pour le déjeuner de gala de M. le Président de la République, tous ceux-là ne les reverront plus…


Le soleil, cependant, indécis jusque-là, paresseux, mal en train, se détermine à pousser quelques vifs rayons au travers d’une trame de nuages qui s’amincit, qui se déchire par endroits. Le vent tombe. La mer se calme et balance sur un rythme apaisé les vagues alanguies : sur sa face d’opale jaune, des plaques luisantes réfléchissent déjà l’azur d’un ciel de fête. La journée s’achève délicieuse, chaude, dans une tranquillité dont les petits vapeurs de Dunkerque troublent seuls la béatitude en venant, bondés de monde, tourner autour de nous. Peste ! quel enthousiasme chez ces braves gens et auquel nous ne nous attendions guère ! Quels cris, quelle conviction !… « Vive la République ! vive le Tsar ! vive la France ! ., vive la Marine !… » Il y en a pour tous les goûts, et, si nous faisons seulement un petit signe de la main, ce sont des trépignemens, des hourras, des chapeaux jetés en l’air…

Malheureusement, voilà ! .. Nous, nous ne sommes plus au diapason, ayant jeté tout notre feu ce matin ; et même, oserai-je le dire, tout ce délire m’attriste… Une pensée me poursuit, tenace, rongeuse (décidément, je suis mal disposé aujourd’hui) : la France devait être bien belle, autrefois, quand elle n’avait pas besoin d’allié !

Mais non ! Rejetons ces soucis. Aimons notre temps. Qui peut être assuré, après tout, que l’heure où il vit est bien celle du déclin de son pays ?

Allons ! Vive la République, mes amis ! Vive la France ! Vivent le Tsar et la Tsarine !… Et aussi, vive Dunkerque, dont le nom reste toujours cher à des cœurs de marins !