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Mais c’est surtout de souvenirs que ces lambris sont riches. Ils abritèrent successivement le grand Dauphin, le duc de Bourgogne, la duchesse de Berry, le Régent, le dauphin fils de Louis XV et sa seconde femme Marie-Josèphe de Saxe. Ici sont nés Louis XVI, Louis XVIII, Charles X. Ici la jeune dauphine Marie-Antoinette commença le morose apprentissage de sa vie conjugale. Elle monta aux appartenons de la reine ; le comte et la comtesse de Provence prirent sa place. Ici enfin furent élevés les Enfans de France, ceux qui allaient être bientôt les enfans Capet, logés dans la prison du Temple.

Tous ces hôtes ont réintégré leurs anciens pénates. Ils s’entourent de contemporains judicieusement choisis ; pas trop nombreux, pas plus qu’il n’en faut pour animer sans l’encombrer un salon princier où l’on cause. Ralentissons notre promenade dans cette enfilade de pièces ; elle nous offre en raccourci un panorama historique du XVIIIe siècle.

Il commence à peine dans la première. Elle se sent encore de la gravité, de la majesté de l’autre siècle. En dépit de la chronologie, ce vieillard continue avec son grand roi, il impose ses modes surannées, il refrène le jeune vaurien de siècle qui va lui échapper. La plupart de ces personnages ont posé devant Rigaud. Quel contraste avec ses successeurs ! A côté de ceux-ci, sa peinture paraît encore plus solennelle, plus assombrie. Il y a je ne sais quoi de crépusculaire sur les portraits qui mettent dans cette salle tant de sérieux et de pompe ; une clarté de reflet, la lumière magique et mourante qui prolonge les feux du soleil couchant, à la fin des beaux jours, dans les hautes fenêtres des façades du château ; elle n’a plus de foyer à l’horizon, et les anciens cristaux de la Galerie des glaces la retiennent, la reversent sur les bassins incendiés, donnent l’illusion d’une aurore dans la nuit descendante. Tels les visages des survivans du grand siècle assemblés dans cette pièce.

Est-ce le roi qui trône au centre de ce panneau ? On s’y tromperait. Non, c’est son sosie, le courtisan modèle qui lui ressemble à force de volonté, le marquis de Dangeau. Il ressemble à Louis avec plus de somptuosité, plus de béatitude dans son grand manteau de l’Ordre. Sous les ramages de l’étoffe et les broderies de lys d’or, on devine un corps qui s’étend, sentie et se travaille, pour égaler le maître en grandeur. La Fontaine pensait-il à Dangeau quand il écrivait sa fable de La Grenouille ? Ce joueur