Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureux marche sur les nues, il se sait favorisé du don suprême, la chance, don qu’il préfère à tout l’esprit d’une Sévigné. « Je voyais jouer Dangeau, dit la marquise, et j’admirais combien nous sommes sots auprès de lui. » De quelle hauteur protectrice il regarde son voisin, ce croquant de Boileau !

Le satirique a survécu à tous ses amis, il régente encore, une plume à la main. Sa physionomie pétille de feu, de finesse ; elle déclare « un esprit aisé, qui se montre, qui s’ouvre, » comme il le disait dans son épître à Seignelay. Il peut le lui redire : leurs cadres se touchent. L’héritier de Colbert est d’un extérieur charmant ; fils de grand homme, il n’a qu’à se laisser porter ; mais le mal de langueur dont il va mourir attriste et pâlit sa figure poupine. Un seul visage est gai, dans cette compagnie, celui de Boileau. Qui se serait représenté Nicolas si jovial ? C’est sans doute que son image le contente ; il a été peint selon ses principes, par un artiste de même complexion que lui, avec force, raison et vérité. Rigaud l’a superbement traité. De Rigaud encore, et du meilleur, les deux frères Keller, les habiles fondeurs. Leurs portraits ont la belle patine de leurs bronzes. Ces nobles artisans portent sur le front la fierté de leur œuvre. Ils peuvent la voir toute proche et qui défie le temps : nymphes aux profils de duchesses et fleuves barbus, répandus autour du parterre d’eau ; torses verts allongés au bord des vasques, réfléchis dans leur miroir immobile.

Mais où donc est le roi ? Avec des Persans, dans un angle du petit tableau de Coypel. Le Bassa et ses acolytes, prosternés devant le trône, donnent à Louis XIV la dernière satisfaction d’orgueil qu’il ait savourée ; et c’est une comédie que lui joue Pontchartrain, une entrée de mamamouchis bonne pour Molière. Un marchand de Perse avait débarqué à Charenton, en février 1715. Pontchartrain, à l’affût de tout ce qui pouvait flatter la superbe de son vieux maître, s’avisa de métamorphoser ce négociant en ambassadeur. Dupe de son ministre, Louis voulut que l’audience fût magnifique, il ordonna à Coypel de s’y trouver pour la peindre. Le roi portait sur son habit les diamans de la couronne, pour plus de douze millions de livres. « Il ployait sous le poids, et parut fort cassé, maigri, et avoir très méchant air… La duchesse de Ventadour était debout à la droite du roi, tenant le roi d’aujourd’hui par la lisière… » Les voici, en effet, le vieillard qui se requinque, l’enfant étonné, avec tous les courtisans, toutes