Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au-delà des monts, l’hébétude et l’usure des héritiers de Charles-Quint. Il semblerait ici que le milieu soit plus puissant que la race pour façonner un type. De toutes ces étrangères qui nous arrivent d’Espagne et de Piémont, d’Autriche et de Saxe, naissent de jeunes princes bien français par la mine et l’allure. Le sceau de la race n’est indélébile que sur ces deux Anglais, élégans et mélancoliques ; deux errans, qui traînent ici comme partout leurs vaines espérances ; le chevalier de Saint-Georges et le cardinal, les Stuarts, avertisseurs des Bourbons. Marie Leczinska fait son entrée, un lys à la main, toute radieuse dans le rêve inespéré. Elle déchantera. Sur les portraits ultérieurs, la reine perd sa bonne grâce juvénile ; la physionomie avertie reste indulgente, acquiert de la finesse, du mouvement, l’air entendu de la petite cour où régnait le bel esprit du président Hénault.

Voici le Dauphin, maître de céans ; ombre qui passe, saisie par le pinceau de Natoire, et dont on retrouvera les traits, plus épaissis, sur le masque de son fils Louis XVI. La seconde dauphine, Marie-Josèphe de Saxe, nous reçoit dans la coquette bibliothèque si délicatement ornée pour elle. Un cortège d’artistes fait antichambre dans l’autre cabinet de la princesse : Cochin, Boucher, Van Loo au milieu de ses enfans. Mais, avant de passer outre, arrêtons-nous dans la chambre des dauphines et faisons un peu de « mécanique ; » elle est ici d’un vif intérêt.

Au fond de cette chambre, une porte pratiquée dans le panneau ouvre sur un étroit couloir, qui débouche d’autre part dans la grande pièce d’angle, cabinet du Dauphin. Ce boyau intérieur communique au caveau. On appelait ainsi un retrait obscur, véritable trou de cave, froid et resserré comme une cellule de cachot, qui donne sur une petite cour humide, empuantie. Monseigneur, fils de Louis XIV, avait imaginé de coucher là. Deux escaliers intérieurs s’amorcent sur le caveau et conduisent aux grands appartemens royaux du premier étage : ils ont chacun leur date et leur histoire. Le premier, échelle tournante prise en pleine maçonnerie, est le seul vestige authentique du château de Louis XIII. La tradition l’a baptisé l’escalier de la Journée des Dupes. Richelieu fut, lui aussi, l’un des occupans temporaires de ce rez-de-chaussée ; il a très probablement gravi ces degrés, dans la nuit du 11 novembre 1630, pour aller là-haut surprendre son maître, ressaisir la faveur, obtenir la disgrâce et le supplice de Marillac ; le chancelier dormait