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transparaît, montre de quoi elle est faite : intelligence claire, aiguisée, mais paresseuse ; cœur sans méchanceté, sans ressort pour la lutte ; dissimulation, inconstance, tout le charme et la bonté de surface sur un fond décevant ; faiblesse incurable, souvent séduisante, de l’homme trop adonné aux femmes ; conscience réfléchie de l’irrémédiable déchéance, en soi, autour de soi. Ce regard a tout vu, tout su, tout épuisé ; il proclame le néant de tout, la résignation dans le dégoût d’autrui et de soi-même, l’infinie lassitude.

Lasse, lasse, c’est le dernier mot de cette figure, de la bouche qui va s’entr’ouvrir, semble-t-il, et redire les paroles révélatrices que Mme du Hausset surprenait chaque soir dans le boudoir de la Pompadour. — « Le roi avait les idées les plus tristes sur la plupart des événemens. Quand il arrivait un nouveau ministre, il disait : « Il a étalé sa marchandise comme un autre, et promet les plus belles choses du monde, dont rien n’aura lieu. Il ne connaît pas ce pays-ci. Il verra… » — Quand on lui parlait de projets pour renforcer la marine, il disait : « Voilà vingt fois que j’entends parler de cela. Jamais la France n’aura de marine, je crois. » — Le roi était bien aise de la prise de Mahou ; mais il ne pouvait croire au mérite de ses courtisans, et il regardait leurs succès comme l’effet du hasard… Le roi parlait souvent de la mort, et aussi d’enterremens et de cimetières : personne n’était né plus mélancolique. » — Il faudrait reproduire toute la suite de ces propos. Je ne sais pas de plus merveilleuse étude de psychologie que les espionnages de cette femme de chambre : le tableau de Drouais la confirme et l’éclaire.

Il est regrettable qu’on ne puisse mettre en face, ici même, un portrait de Mme Du Barry qui compléterait la leçon. Cette toile peu connue, une des meilleures de Mme Vigée-Lebrun, a été léguée par M. Vatel à la bibliothèque de Versailles, l’ancien dépôt des Affaires étrangères. — « Le grand portrait de Mme Lebrun est délicieux et d’une ressemblance ravissante ; il est parlant et d’un agrément infini… » Ainsi écrivait à la dame son dernier soupirant, M. de Rohan-Chabot, dans une lettre du 7 septembre 1793. Il venait de faire prendre la peinture en question chez l’avant-dernier, pour qui elle avait été faite ; le duc de Brissac, massacré l’année d’auparavant. Les Goncourt citent cette lettre, mais ils n’ont pas vu l’œuvre de Mme Lebrun