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coupes de liqueur parfumée, des cuisines et des tavernes à l’infini. On le voit, un espace sans limite est réservé aux libres ébats dans ce palais nuptial.

Innombrables allées et venues, séparations, retours, rencontres nouvelles, repas, beuveries, danses, saluts d’amour, enlacemens, effusions intimes, liberté divine. Innombrables peines de cœur et incessantes abnégations dans la salle aérienne, tandis que les minutes de délices se succèdent, et que l’ivresse coule à pleins bords en ce séjour bienheureux.


Ce tableau de ripailles chevaleresques semble sorti du crayon d’un Gustave Doré, et traduit puissamment, avec une sorte d’ironie sympathique, la surabondance de vie égoïste et instinctive, joyeuse et douloureuse à la fois, qui s’écoule chaque année du sein de la nature féconde, et indifférente au sort de ses lignées profuses.

Nous avons, n’est-il pas vrai, rendu pleine justice à des dons poétiques exceptionnels en tous lieux, et plus inattendus encore derrière la charrue d’un simple cultivateur. Avouons donc à présent sans détour que Wagner n’est pas à toute heure également favorisé de la Muse. Courbé vers la terre par son rude labeur quotidien, il n’a pu se dégager entièrement des influences déprimantes de son milieu, et ses deux écueils sont ou la trivialité, ou l’insignifiance puérile. Parfois même, comme il arrive chez qui s’est élevé au prix d’efforts incessans, la chute est soudaine, et semble plus choquante par le contraste qu’elle offre avec un précédent essor. L’exemple suivant ne saurait faire tort à notre poète, car la sympathie du lecteur ne se refroidira qu’au terme de leur commun voyage, et l’impression restera sans doute en résumé très favorable : on y trouvera cependant une justification des réserves que nous avons dû présenter. C’est la vingt-et-unième Promenade du Dimanche dans le deuxième recueil de ces excursions, elle est intitulée : le Mythe de l’Automne.


Les chaumes s’étendent au loin pâles et jaunissans, mais la lande est fleurie de bruyères roses, et bientôt, à son tour, la forêt va se teinter de pourpre. N’est-ce pas comme si la nature voulait une fois encore se parer, se farder même, semblable à une belle abandonnée qui se montre avide de retenir encore un amant volage ? (le soleil.) Mais ses charmes usés ne sauraient le fixer longtemps désormais, et la voilà solitaire et délaissée, pleurant et se torturant, jusqu’à en mourir, de douleur et de colère impuissante. Oui, les averses de l’automne ne sont-elles pas ces larmes de rage, les ouragans d’octobre cette agitation désespérée devant le départ du bien-aimé ? Une fois seulement encore, au Jour des Morts, elle recevra sans faute la visite de l’Inconstant.