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parlera de « ce fil métallique du souvenir » qui relie notre passé à notre présent[1] :

« Le courant électrique de la pensée, dira-t-il, parcourt ainsi des étendues incalculables en moins d’une seconde, au plus léger attouchement de son extrémité, et souvent, de faibles causes suffisent à le mettre en activité. »

Ailleurs[2], considérant les fleurs de glace déposées, l’hiver, sur les vitres de la chambre close par l’haleine de ses habitans, le poète remarque qu’elles imitent les fougères aux ramifications délicates ; le savant, d’autre part, n’a garde d’oublier que son souffle exhale de l’acide carbonique dans l’air, et que la houille est née des forêts de fougères préhistoriques. Et, par l’enchevêtrement de ces impressions convergentes, le voilà conduit à exposer en vers, un peu lourds d’ailleurs, les conquêtes scientifiques de la géologie contemporaine.

« Réjouis-toi, dira-t-il encore à l’occasion[3], de ce que cette chambre de malade nommée la Terre soit parfois désinfectée bien à fond. Combien de germes malsains ne se sont pas accumulés par le cours du temps, derrière cette vieille tenture appelée : Civilisation ! »

C’est l’astronomie qui forme pourtant le champ favori des ébats de son imagination vagabonde. Un jour, la structure de la fleur des ombellifères lui rappelle l’organisation concentrique des différens systèmes planétaires : il remarque que le milieu de l’ombelle demeure privé de corolles aux vives couleurs, et que, dans l’univers aussi, « la tige gigantesque qui porte tout le système est obscure : les meilleurs télescopes n’ayant jamais rien découvert en ce centre privé de lumière. » Belle image de l’inconnu métaphysique qui nous enveloppe de toutes parts.

Par malheur, une fois encore, il faut constater ici chez le poète un défaut de goût et de mesure qui l’entraîne parfois sur une pente dangereuse. Surtout dans sa dernière œuvre, la seconde partie des Nouveaux Poèmes, Oswald et Clara, il a singulièrement abusé de l’astronomie fantaisiste pour tracer des peintures de mondes imaginaires : il nous montre sur des étoiles lointaines des horizons peuplés de chrysalides paresseuses, ou des sociétés de fourmis gigantesques qui singent l’humanité de

  1. I, 22.
  2. I, 37.
  3. Nouveaux Poèmes.