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Acceptez mon triste adieu, ô Orchis, et vous, Ophris, étranges végétaux des temps primitifs, qui avez précédé la création des insectes, et les annonciez peut-être, des milliers d’années avant leur apparition : premier essai à demi réussi de la nature modelant des formes nouvelles, produisant une ébauche nécessaire à un plus audacieux effort, mais incapable encore de séparer de la tige maternelle l’individu qu’il lui faillirait douer d’une vie propre. — Adieu ! autour de vous s’étendent déjà les colonies de vos ennemis mortels, l’âpre race des trifoliées, et les familles brutales des vicinées, des genistées, des coronilles, ces futurs conquérans dépourvus de poésie, je devrais dire ces dévastateurs de notre sol… Ils vous chasseront comme les blancs ont chassé l’Indien, de territoire en territoire, de terrain de chasse eu terrain de chasse, de refuge en refuge. Adieu ! la poésie disparait de la terre et l’avenir appartient à la prose. Mais je serai du moins votre dernier aède, et je vous célébrerai une fois encore en mes chants.


Certain jour, notre laboureur s’enhardit même jusqu’à prophétiser l’avenir de la race humaine[1] : l’imagination est certes naïve, et l’effort d’invention du poète ne s’élève guère, cette fois, au-dessus des puérils tableaux d’Oswald et Clara. Qui ne préférerait pourtant cet elfe de légende qu’il va nous présenter au déplaisant « surhomme » du darwinisme nietzschéen ? L’homme, dit Wagner, ayant disparu dans un cataclysme géologique, juste punition de ses crimes contre tout ce qui vit, « un être plus noble, ailé et de forme plus exiguë recueillera son héritage : et ces temps lointains parleront de notre âge comme nous parlons nous-mêmes de l’époque des sauriens tertiaires et de la période du mammouth. »


III

Et cependant, parmi les idées plus ou moins fécondes dont la science moderne accepte l’appui, toujours hypothétique, même à ses propres yeux, lorsqu’elle est de bonne foi, ce n’est pas la variabilité des espèces qui a surtout frappé notre homme. Car nous voici parvenus au trait, le plus essentiel de sa physionomie poétique et philosophique. Une autre conception a marqué son esprit d’une empreinte ineffaçable et tyrannique. C’est celle que nous avons nommée la métempsycose scientifique, la loi de conservation de la matière. — Wagner est parti de là pour faire revivre successivement en son cerveau mystique toutes les

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