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le monde animal et végétal, que l’on suppose animé par un principe parent de notre propre essence vitale, que l’on regarde comme la demeure passée et future de tout ce qui constitue notre être périssable. Que Christian Wagner ait tiré lui-même cette conséquence de prémisses si pleinement acceptées par son esprit, qu’il fait empruntée directement à la pensée hindoue, arrivée jadis au même terme par les mêmes chemins, c’est ce qu’il ne nous a pas appris : mais il faut reconnaître, en tous cas, que cette conclusion logique s’impose despotiquement à sa raison et à sa sensibilité.

Sans préjudice des réserves que nous aurons à présenter plus tard, nous voulons, avant tout, rendre pleine justice à ce qu’il y a de touchant, d’élevé et de salutaire dans l’apostolat que le paysan souabe exerce incessamment en faveur des animaux. Dès les premières lignes de son premier recueil, le bramine fictif dont il a cru tout d’abord devoir faire son porte-paroles, marquant ainsi les origines ou les affinités de sa prédication (il s’est d’ailleurs débarrassé dès sa seconde publication de ce déguisement exotique), le bramine a posé ainsi les principes de l’Evangile nouveau :


Je souhaite de fonder une communauté de sages, dont les champs et les prés seraient dignes d’être appelés les parcelles du royaume de l’avenir, ainsi que les miens le sont déjà. Ces domaines formeraient un asile pour les bannis et les rebutés, un dispensaire pour les pauvres et les abandonnés. Nul piège, nulle arme à feu, nul poison, nulle embûche d’aucune sorte n’y menaceraient les petits gourmands. Là régneraient la paix et le repos. Les compagnons de jeu des enfans mangeraient le pain de la maison jusqu’à leur dernière heure : chien, petits chats, la bonne vache laitière, mère nourrice de la famille, et la poule prodigue de ses œufs.


En tête de son second volume de Promenades, l’auteur reprend ce thème avec plus de feu :


Voici la raison pour laquelle j’ai écrit cet Evangile de la nature et accompli, comme malgré moi, ce qu’il n’était pas en mon pouvoir d’omettre. C’est afin de faire régner en vous plus de justice, pauvres campagnes privées d’âme et privées de dieux. J’ai voulu vous réveiller de votre léthargie, et vous rendre la parole ; j’ai obéi à une voix intérieure ; j’ai proche ta liberté, ô créature, et annoncé l’Evangile nouveau, l’Évangile des plus grands égards possibles témoignés à tout ce qui vit ; et j’ai déclaré la guerre aux doctrines égoïstes et sans cœur.


Ces lignes sont belles de tendresse et de dignité. Souvent la