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par des analyses délicates, de le mettre en contradiction avec lui-même ou avec les historiens de son temps ; on cherchait, dans son caractère, dans ses principes politiques, dans ses relations, des motifs de rendre son témoignage suspect ; on essayait, par toute sorte de raisonnemens et de recherches, de réhabiliter les princes qu’il a condamnés, surtout Tibère, car il faut remarquer que c’est autour de Tibère que s’est toujours livrée la bataille contre Tacite. La campagne fut habilement menée, sauf que, comme il arrive dans toutes les polémiques un peu passionnées, on alla vite à l’extrême. Il ne suffit pas d’établir, ce qui est vrai, que Tibère était un très habile politique, qu’il a bien gouverné les provinces, qu’il a maintenu l’empire en paix ; on voulut prouver que c’était un fort honnête homme, « une noble et bonne nature, » et, comme il était difficile de nier que beaucoup de sang avait coulé sous son règne, on en fit retomber la faute sur ses victimes, qui l’avaient exaspéré par leur résistance. C’est bien ainsi qu’on présentait les choses à Caprée ; nous le savons par le témoignage de Velleius Paterculus, le plus effronté flatteur de Tibère, qui plaint beaucoup le pauvre prince d’avoir été obligé de se priver de tant de personnes de sa famille qu’il a fait mourir l’une après l’autre, si bien qu’à la fin il ne lui resta plus que Caligula, celui de tous certainement qui méritait le moins de vivre.

Ces attaques, malgré ce qu’elles ont d’excessif, risquent de jeter quelque inquiétude parmi les admirateurs de Tacite. Il est donc nécessaire que nous nous demandions ce qu’elles ont de fondé, si nous pouvons nous livrer pleinement à lui, ou s’il ne faut le faire qu’avec des précautions et des réserves. ― Nous allons chercher à le savoir.


II


Ce qu’il y a de mieux évidemment, pour être sûr que quelqu’un dit la vérité, c’est de s’en informer auprès des gens qui ont pu la connaître. Adressons-nous donc aux contemporains de Tacite, à ceux qui étaient voisins de l’époque dont il a raconté l’histoire ; ils peuvent seuls nous dire s’il rapporte les faits avec exactitude et juge équitablement les hommes.

Et d’abord, pour remonter le plus haut possible, jusqu’au moment même où ont paru ses ouvrages, que savons-nous de