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il écrit l’histoire, Tacite a trouvé l’opinion toute faite, j’entends l’opinion des honnêtes gens, celle qui finit toujours par l’emporter. Il me semble même qu’au lieu de chercher à l’enflammer, comme on le suppose, il a plutôt essayé de la retenir. Il s’est plus d’une fois prononcé contre l’exagération des bruits populaires. C’est ainsi qu’il refuse de croire que Tibère ait fait empoisonner son fils Drusus ; mais il n’en persuada pas le public, et l’accusation se retrouve, trois siècles plus tard, chez Orose, Quand éclata le grand incendie de l’année 64, l’idée vint à tout le monde que c’était Néron qui avait mis le feu à Rome. Pline l’Ancien et Stace, les premiers écrivains qui en parlent, n’hésitent pas à l’en accuser. Suétone en est tout à fait convaincu. Tacite ne se prononce pas et se contente de dire « qu’on ne sait pas si l’incendie est dû au hasard ou à un crime du prince. »

Il me semble que l’étude que nous venons de faire est de nature à nous rassurer singulièrement sur la véracité de Tacite. Ce n’est pas lui, on vient de le voir, qui a créé la tradition au sujet des Césars ; il l’a trouvée toute faite, et ses successeurs n’y ont rien changé, quoiqu’ils aient pu consulter d’autres sources que ses ouvrages. S’il avait altéré la vérité autant qu’on l’a prétendu, il se serait trouvé d’autres historiens pour la rétablir, et c’est ce qui n’est pas arrivé. Ils peuvent différer de lui sur quelques détails, mais, pour l’essentiel, il n’y en a point qui le contredisent. La façon dont ils jugent les empereurs, dans ses grandes lignes, est la même, et avec quelque perspicacité qu’on les étudie, ils ne nous fournissent pas des raisons de nous défier de son témoignage.


IV


Ces raisons, qui n’existent pas chez eux, on a cru les trouver en lui-même, dans son caractère, dans son éducation, dans les préjugés qui lui venaient de ses relations ou de sa naissance. Et tout d’abord on a eu l’idée de mettre sa sévérité sur le compte de son humeur chagrine. C’était, dit-on, un pessimiste, et je crois bien qu’on a raison de le dire. Les Romains avaient, en général, une disposition à l’être. Ce qui les distingue des Grecs, c’est qu’ils sont ou qu’ils veulent paraître sérieux jusqu’à l’austérité, graves jusqu’à la tristesse ; qu’ils sourient moins à la vie, qu’ils se méfient des événemens, qu’ils ont peu de confiance dans