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comme Rome, où l’on ne pensait guère par soi-même, où l’on agissait surtout d’après des règles et des habitudes uniformes, où c’était une vertu de respecter les traditions, une loi de se conformer aux opinions reçues.

La famille de Tacite, on l’a déjà vu, était de noblesse très récente ; ce qui ne veut pas dire qu’elle ne partageait pas les préjugés de l’ancienne aristocratie. Il arrive parfois que les grands seigneurs de fraîche date mettent à les soutenir plus de passion que les autres, dans la pensée de faire oublier leur origine. Tacite avait trop d’élévation dans l’esprit pour céder à ce ridicule. Mais on a beau faire, on n’échappe jamais entièrement aux impressions qu’on prend dès l’enfance dans son entourage, et je crois qu’en cherchant bien, on en trouverait chez lui quelques traces. C’est ainsi qu’il remarque, sans en paraître surpris, qu’on préférait Germanicus à Drusus, son frère d’adoption, « parce que le bisaïeul de ce dernier était un simple chevalier romain, Pomponius Atticus, dont l’image semblait déparer celles des Claudii. » On dirait vraiment qu’il oublie qu’il sortait lui-même d’une famille équestre. Ailleurs, quand il nous parle des désordres de Livie, la femme de ce même Drusus, que Séjan avait séduite, il lui reproche surtout « de s’être prostituée à un amant né dans un municipe. » C’est ainsi qu’on s’indignait, à la cour de Louis XV, quand le roi se permit de prendre sa maîtresse dans la bourgeoisie. Mais ce ne sont là que des passages isolés d’ordinaire, Tacite n’est pas partial pour l’aristocratie il ne dissimule ni ses lâchetés, ni ses crimes. Une seule fois, il demande la permission de taire le nom des fils de maisons illustres qui se sont déshonorés dans les fêtes de Néron. « Tout morts qu’ils sont, dit-il, je ne les nommerai pas, par respect pour leurs ancêtres le plus coupable, après tout, n’est pas celui qui commet une faute, mais le prince qui l’a payé pour la commettre. »

À côté de cette éducation de la famille, qui se résumait dans le culte des souvenirs, pour lui, comme pour tous les Romains, il y en avait une autre, celle que donnaient le grammairien, le rhéteur, le philosophe, et qui tenait le jeune homme entièrement occupé des exercices de l’école, attentif à la parole du maître, penché sur ses livres, jusqu’à l’âge où il prenait la robe virile, c’est-à-dire vers seize ans. Cette seconde éducation était toute grecque, comme, chez nous, elle a longtemps été presque toute romaine. Aujourd’hui il est à la mode de condamner sévèrement