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avec tant de force les combats de gladiateurs, qui proclame si hautement « que l’homme doit être sacré pour l’homme » Il est vrai que ce même Sénèque dit, quelque part, de la façon la plus naturelle du monde « Quand un enfant naît faible ou difforme, nous le noyons. » Tant il est difficile de résister tout à fait aux préjugés même les plus monstrueux, quand autour de nous ils sont acceptés de tout le monde


VI


Ce mélange singulier d’idées élevées et de préjugés populaires, nous allons le retrouver en étudiant les croyances religieuses de Tacite c’est une étude sur laquelle j’insisterai volontiers, car elle achève de nous le faire bien connaître.

Il n’a fait nulle part, d’une manière expresse, sa profession de foi, et vraisemblablement, sur ces questions si délicates, il n’avait pas de principes bien arrêtés. Nous voyons qu’à propos de l’immortalité de l’âme, il ne va pas au delà d’une espérance si quismanibus piorum locus. Il est probable qu’il s’en tenait à ce monothéisme indécis qui, grâce à la philosophie grecque, était devenu la croyance de tous les esprits cultivés. C’est ce qui semble ressortir du passage célèbre où, malgré sa haine pour les Juifs, il rend hommage à l’élévation de leurs doctrines. « Ils ne conçoivent Dieu, dit-il, que par la pensée, et n’en reconnaissent qu’un seul ; ils traitent d’impies ceux qui, avec des matières périssables, se fabriquent des dieux à la ressemblance de l’homme ; le leur est le Dieu suprême, éternel, dont l’image ne peut être reproduite, et qui ne doit pas périr. Aussi ne souffrent-ils aucune effigie dans leurs villes, encore moins dans leurs temples, point de statues, ni pour flatter leurs rois, ni pour honorer les Césars. » Sans dire expressément qu’il pense comme eux, il me semble qu’il le laisse entendre par la façon dont il s’exprime. Les mêmes sentimens se retrouvent dans un passage important où il parle des Germains « Ils croient qu’emprisonner leurs dieux dans des murailles ou les représenter sous une forme humaine, c’est faire outrage à leur grandeur. Ils consacrent à leur culte les bois et les forêts, et ces mystérieuses solitudes, où ils les adorent sans les voir, leur semblent être la divinité même. » Ici encore, il n’a pas besoin de nous dire que son sentiment est conforme à celui des Germains, nous voyons bien qu’il lui paraît que ce peuple