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sa prodigieuse aventure y met pour le promeneur un songe obsédant.

Quelques-uns de ces jeunes gens feront plus longue route, et moins lugubre ; mais par quels crochets, à travers quelles fondrières ! Nous avons ici deux portraits du Comte de Provence, l’un par Drouais, l’autre par un inconnu. — Méfiez-vous ! semble dire cette figure spirituelle et rusée. Elle le dit surtout à la belle-sœur, Marie-Antoinette. Monsieur dissimulait mal son mépris pour un aîné qui le terrassait à coups de poing et lui était inférieur en dons intellectuels ; il jugeait ce frère borné, peu viable, impuissant. A vingt ans, parmi ces princes fous de plaisir, son esprit mûri calculait, escomptait l’accident possible, convoitait ardemment le trône. La maternité de Marie-Antoinette frustra cette ambition sournoise. Monsieur et sa Piémontaise, enragés de leur infécondité, ne pardonnèrent pas à l’Autrichienne des couches tardives qu’ils s’étaient habitués à ne plus redouter. Aussi quelle haine, quelles menées sourdes ! Toute la vie de ce couple, — de ce trio, car la Balbi épouse les rancunes de son ami, — n’est qu’une cabale contre la Reine ; les plus virulens des pamphlets qui la salissent sortent de l’officine de Monsieur. Patience ! Il y a un pressentiment dans cette ambition trop hâtive. Grâce à la coupe sombre du bourreau, François-Xavier montera un jour sur le trône. Comment il en descendra pour un temps, talonné par le revenant de l’île d’Elbe, un tableau du Musée nous le remémore : le baron Gros a reproduit la scène avec un grand sens dramatique. Mais l’élégant adolescent de Drouais se reconnaîtrait-il dans ce gros homme podagre, les jambes ligottées sous les larges guêtres à boutons d’or, qu’un torrent de fuyards entraîne hors des Tuileries, aux clartés tremblantes des torches, le soir du 19 mars 1815 ?

Non loin de l’astucieux Provence, la tête à l’évent de son cadet, le fringant et séduisant Artois : autrement et non moins dangereux pour la belle-sœur qu’il compromet par ses assiduités, par ses folies, tandis que son frère la poignarde dans l’ombre. — Le gai viveur serait fort surpris, si Cagliostro, l’homme qui sait tout, et dont le portrait fait vis-à-vis au sien, lui adressait le salut de la sorcière à Macbeth : Salut à toi, qui seras roi ! Le dernier roi de la lignée ! — Là-haut encore, dans les salles où se font les transfigurations de l’avenir, une grande toile de Gérard nous montre les pompes du sacre de Reims : l’aimable