Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/733

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entretiennent sur l’ancien régime, de croire que la France se partageait autrefois entre riches et pauvres, tous les nobles étant plus ou moins riches et tous les autres plus ou moins pauvres. De plus en plus, au contraire, l’aisance s’introduisait dans la bourgeoisie et aussi, quoique plus lentement, dans la classe rurale, sans parler des colossales fortunes des fermiers généraux ou des traitans. De plus en plus aussi la noblesse, surtout la noblesse de province, se faisait pauvre. D’honorables sacrifices qu’elle s’imposait en temps de guerre, en vue de pourvoir à son équipement, et parfois l’incurie qu’elle apportait dans la gestion de ses terres, en étaient la cause. De plus en plus également l’art, aujourd’hui poussé si loin, de fumer ses terres, suivant l’énergique expression de Mme de Grignan, entrait en honneur. Mais ce procédé n’était pas à l’usage de tout le monde, et il y avait, surtout dans la noblesse de province, de grandes souffrances. Mme de Maintenon en savait quelque chose et jamais elle n’avait oublié les tribulations que l’extrême indigence de ses parens avait infligées à sa jeunesse. De même, Saint-Simon lui rend cette justice, que, dans sa haute fortune, elle étendit toujours sa protection sur ceux qui lui étaient venus en aide dans ses années difficiles, de même elle se préoccupa de bonne heure de sauver les demoiselles nobles, qui pouvaient se trouver dans la même situation qu’elle, des difficultés et des humiliations auxquelles elle s’était vue réduite. « La noblesse devrait bien m’aimer, disait-elle, car je l’aime bien et je souffre extrêmement de la voir réduite où elle est. » Jeanne d’Aumale appartenait à cette noblesse pauvre. Sa place était donc naturellement à Saint-Cyr et, dès l’enfance, elle contracta ainsi envers Mme de Maintenon une dette de reconnaissance dont elle devait s’acquitter plus tard.

De sept à vingt ans, Mlle d’Aumale compta parmi les élèves de Saint-Cyr. Nous ne savons rien d’elle durant ces années sinon qu’à son propre dire, elle « estoit des plus éveillées et des moins estimées. » Eveillée, s’il faut entendre par là vive et spirituelle, elle le demeura toujours ; estimée, on verra combien elle finit par l’être. La meilleure preuve en est qu’après avoir passé successivement par les quatre divisions des rouges, des vertes, des jaunes et des bleues, et probablement aussi des noires, c’est-à-dire de celles qui donnaient des leçons aux autres, quand elle fut arrivée à l’âge de vingt ans et trois mois, on ne voulut pas la laisser partir. Une ordonnance de l’évêque de Chartres, Godet