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du talent de l’auteur, elle pourrait servir d’illustration, un peu grossie et forcée, aux périls d’un sentimentalisme trop exalté.

En terminant, sur cet avertissement, notre étude de la morale animale, offrons encore, à ceux du moins qui portent leurs sympathies en dehors du cercle des animaux domestiques, une dernière objection tirée du sort futur des bêtes sauvages. Leurs avocats trop empressés ont-ils songé parfois à la fin inévitable que leur prépare la destinée ? Dans le cas le plus favorable, c’est la mort par inanition, au fond d’une retraite obscure, quand la vigueur nécessaire fait défaut pour la difficile conquête de la nourriture quotidienne : ordinairement, c’est la mort violente sous la dent d’une espèce carnassière, d’autant plus probable que l’affaiblissement sénile rendra plus difficile la défense par la force ou par la ruse. L’animal n’a pas d’autre alternative[1] ; le coup de fusil du chasseur, ou le coup de talon de la sarcleuse sont-ils donc beaucoup plus cruels ?


IV

La disposition d’esprit et de cœur que trahit chez Christian Wagner son attitude fraternelle vis-à-vis du monde animal et végétal, devait l’amener aussi en d’autres matières à d’intéressantes conclusions morales, dont il nous reste à poursuivre dans son œuvre le fort et le faible, afin d’achever la ressemblance du portrait que nous avons entrepris. Reconnaissons d’abord avec sympathie, que, à l’inverse de certains maniaques trop exclusivement épris des bêtes, il ne leur sacrifie pas du moins les affections humaines. On assure que, dans les sphères sociales plus élevées, où se recrutent les cliens des tailleurs spécialistes pour chiens[2], ou même des entrepreneurs de cimetières pour animaux, se rencontrent aussi les caractères les plus rognes et les moins tolérans vis-à-vis de leurs semblables. Wagner ne mérite pas ce blâme, car le cercle de ses proches est

  1. Rudyard Kipling a bien mis ce fait en évidence dans ses pénétrantes descriptions des habitans de la jungle. Les vieux loups sont de droit dévorés par les jeunes, dès qu’ils ont trahi leur décrépitude en manquant leur bond sur quelque chevreuil alerte.
  2. On raconte qu’à Londres, un chien dont le propriétaire se respecte doit posséder toute une garde-robe, dont la mode règle capricieusement les formes et l’ornementation.