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de lui une altitude de réformateur et d’apôtre. Mais, c’est dans sa dernière œuvre, Oswald et Clara, la seconde partie des Nouveaux Poèmes, que la fantaisie décidément érotique de l’auteur se donne libre carrière, et, sous couleur de métempsycose, le conduit à un libertinage fardé d’onction et d’attendrissement, dont l’impression est déplaisante. Nous avons déjà cité, en signalant chez Wagner la conception de l’Eternel Retour, cette promenade au cours de laquelle il rencontre une jeune fille ravissante, si semblable à Clara dans son adolescence, que le poète la juge faite des mêmes particules, rassemblées de nouveau après quarante années. C’est par cette confusion voulue qu’il s’achemine vers les illusions dangereuses, que nous allons indiquer et pour lesquelles il ne néglige pas de se préparer d’abord de faciles excuses. Voici en effet l’interprétation casuistique qu’il sait donner à ces mille répétitions de notre existence, à cette pensée grandiose dans laquelle Nietzsche voyait une incomparable action morale : « Qui peut savoir, dit-il[1], combien de fois déjà notre vie terrestre s’est répétée, ni combien elle se répétera par la suite ? Nous aurons donc bien assez de temps et d’occasions propices pour réparer quelques petits péchés de légèreté. » On ne saurait être plus naïvement libertin.

Muni de ce viatique, notre poète se sent donc tout joyeux un autre jour, quand il rencontre une brune servante d’auberge, qui lui offre de nouveau quelques traits de sa Clara[2]. Serait-ce sa chère femme ressuscitée ? « Peut-être, » se contente-t-il encore d’insinuer pour cette fois. Mais, ailleurs, le voici tout à fait assuré que sa compagne du moment est bien véritablement Clara, « C’est par désir du changement sans doute, ou dans un accès d’humeur taquine, qu’elle s’était donné un autre nom et paraissait avoir oublié à dessein tous nos rapports antérieurs[3]. »

Enfin, dans une pièce intitulée : Réveil tardif, l’inoubliable Clara avoue sans ambages ces déguisemens singuliers, et semble encourager son fidèle Oswald à retrouver l’illusion de sa présence dans la compagnie de toute femme dont l’aspect l’a séduit[4].


Je crois bien, mon cher Oswald, qu’il y avait un peu d’ivresse dans ton

  1. Nouveaux Poèmes, p. 164.
  2. Ibid., p. 139.
  3. Ibid., p. 134.
  4. Ibid., p. 117.