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et le développement en fait du privilège des bouilleurs de cru, nom décent qu’on donne à la fraude. L’alcool distillé, ou censé distillé pour la consommation familiale, ne paie pas l’impôt : il y a des endroits où l’on ne fait que de celui-là. Plus l’impôt est élevé, plus il y a d’intérêt à y échapper par une fraude qui est en quelque sorte revêtue d’un caractère légal. On ne s’est pas privé de le faire. M. le ministre des Finances a affirmé que la consommation de l’alcool avait diminué. En est-il bien sûr ? Il en juge par le rendement de l’impôt, qui est tombé très au-dessous de ses prévisions. Mais quelle est, en cela, la part de la fraude, et quelle est celle de la diminution de la consommation ? Nul ne pourrait le dire avec certitude : un seul point est certain, c’est que la fissure ouverte par la fraude, si elle a existé de tout temps, s’est considérablement élargie depuis le vote de la loi. Voilà le premier résultat de la grande réforme des boissons. Encore est-il vrai de dire que, si la consommation de l’alcool a diminué, cela est dû moins à la loi qui le surtaxe qu’à l’exceptionnelle récolte en vin des deux dernières années. Il y a, en effet, une proportion inverse entre la quantité de vin et la quantité d’alcool annuellement consommées : quand l’une augmente, l’autre diminue, et réciproquement. Or, si la loi qui dégrève le vin en a fait baisser le prix, l’abondance de la récolte y a été aussi pour quelque chose. Quoi qu’il en soit, le fait est là : le budget actuel perd 60 millions sur l’alcool. Dès le commencement de l’année, le phénomène a commencé de se produire. On ne s’en troublait pas. Les augures se regardaient en souriant. Ils s’y attendaient, disaient-ils. La seule annonce de la loi ayant poussé les intéressés à faire de grands approvisionnemens, il fallait donner à ceux-ci le temps de s’écouler. Au début, l’explication était plausible : elle le devenait malheureusement de moins en moins à mesure qu’on avançait d’un mois à l’autre, et aujourd’hui elle ne l’est plus du tout. La moins-value de l’alcool doit être considérée comme permanente dans nos budgets, et M. le ministre des Finances l’a si bien senti qu’il a diminué de 50 millions les prévisions de l’année prochaine. Nous souhaitons que la santé publique y gagne, mais le budget y perdra. Il est atteint dans ses œuvres vives et pour longtemps.

Il y a, dans le budget de l’année courante, une autre cause de déficit : elle vient des sucres, qui ont donné un mécompte d’une vingtaine de millions. M. le ministre des Finances se montre l’adversaire très résolu de la loi sur les sucres, dont le gouvernement actuel n’est pas responsable, puisqu’elle remonte à 1884 ; mais M. Ribot lui a reproché