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chinoises impénétrables, enfantines, lentes, superstitieuses, et, finalement, plus sensibles au lucre qu’aux considérations patriotiques


Au bout de quatre jours, je regagnai la gare, je me glissai de nouveau sous des wagons, et je m’installai dans un train en partance pour le Sud. Je m’y trouvai avec le constructeur des trois grands ponts métalliques de la ligne, M. L... C’est un des ingénieurs qui ont récolté le plus d’éloges dans cette partie de l’Asie. De toutes parts, on a loué la remarquable rapidité et l’heureuse issue de ses travaux. Il m’a fait une impression moins frappante que sa réputation, peut-être parce que, dans cette Mandchourie où, par une réaction naturelle contre les calomnies, nul n’est enclin à dissimuler la portée de son œuvre, il tranche encore sur le ton général par une immodestie presque naïve. Il me communique des chiffres de revient fantastiques, m’affirmant par exemple que le prix des ponts métalliques russes oscille entre 9 500 et 30 000 francs le métré courant, tandis que le sien (celui du Soungari 1) ne revient qu’à 6 900 francs. Or, sur ce dernier point, il ne peut être fixé encore, les comptes n’étant pas arrêtés. Il déclare aussi avoir fait une trouvaille grâce à laquelle ses ponts ont une rigidité encore inconnue jusqu’à ce jour : il commande les trous d’assemblage à un diamètre moindre que le diamètre réel. L’ouvrier est ainsi obligé, quand il assemble les pièces, d’agrandir l’ouverture en alésant en plein métal, ce qui assure un centrage rigoureux des deux trous. M. L. oublie que cette précaution est courante dans les ouvrages en acier, puisque l’acier s’écrouit sur le bord des trous qu’y pratique la poinçonneuse : il faut donc se résigner à maintenir ces trous plus petits qu’ils ne doivent être définitivement, et à aléser ensuite les pièces assemblées. Ces détails révèlent les petits côtés d’un amour-propre qui s’est exagéré par suite d’éloges inconsidérés. Du moins, si l’on ramène à de raisonnables proportions le mérite de l’ingénieur L.,., doit-on reconnaître qu’il a fait très vite l’ouvrage dont on l’avait chargé. Il n’a certes pas déployé de génie, mais il a montré beaucoup d’assiduité et d’énergie dans la construction de ses trois ponts. Il a eu la chance d’avoir affaire à des rivières très largos, mais fort peu profondes. De plus, ses travées ne sont pas de longue portée, et, surtout, on lui a livré son matériel à temps. Enfin, comme les trois ponts sont