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encore des monographies de la population ouvrière de ces quelques industries, mines, métallurgie, construction, verrerie, filature, tissage, etc., que nous étudierons successivement par rapport au travail, aux circonstances du travail, aux maladies du travail, à la médecine du travail. Si nous n’adoptons pas la « monographie de famille, » malgré la haute estime que mérite l’œuvre à bien des égards et en bien des parties admirable de Le Play, c’est d’abord qu’on n’est jamais sûr de tenir la famille moyenne, celle d’après laquelle on peut juger de toutes ou de la plupart des autres ; que dès lors une seule monographie de famille ne prouve rien, je veux dire ne prouve pas assez ; et que, pour prouver suffisamment, il faudrait en dresser beaucoup ou du moins plusieurs dans le même métier et dans le même milieu. C’est ensuite et surtout que la grande industrie, — telle qu’elle est maintenant exercée, — ayant eu trop souvent et malheureusement pour effet de désarticuler, de désorganiser et presque de détruire la famille ouvrière, ce qui serait encore légitime et possible pour la petite industrie ne l’est plus du tout pour la grande ; qu’il y a comme un contresens, qu’il y a en tout cas une contre-réalité, à prendre la famille pour unité sociale sous le régime de la grande industrie ; et que, sous ce régime, — cela est d’autant plus vrai que l’industrie est d’autant plus grande, d’autant plus concentrée, — l’unité sociale n’est point la famille, mais bien l’entreprise ou l’usine.

Je le sais, constater ce fait et vouloir en partir, le mettre à la base de cette enquête et fonder sur lui la méthode même, ce n’est pas supprimer toute cause d’erreur et toute incertitude. Comme on n’est jamais sûr, avec la monographie de famille, d’avoir la famille moyenne, on ne sera jamais sûr non plus, avec la monographie d’entreprise ou d’usine, d’avoir l’entreprise ou l’usine moyenne. Et comme, dans le même métier et dans le même milieu, les choses varient d’une famille à l’autre, les choses aussi, dans la même industrie, varient sans doute d’une région à l’autre, et, dans la même région, d’une entreprise à l’autre.

Un premier écart sera donc donné par la géographie, puisque la nature n’a groupé qu’en gros les industries par régions ; que, d’ailleurs, elle est loin d’imposer à toutes également ses lois ou ses conditions ; que, pour telle ou telle d’entre elles, ces lois, ces conditions sont secondaires ; et que, pour celles-là mêmes qui y sont soumises, les conditions sont modifiables, jusqu’à un certain