Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’arrive enfin près de la ville, où s’engouffre la foule qui me porte. Aux abords du faubourg s’ouvrent de monumentales cours d’auberges où grouille une foule invraisemblable, une kermesse jaune. Voici enfin de vraies rues avec les maisons closes et les inévitables, mais curieux marchands des rues. L’un d’eux secoue dans un étui en bois une cinquantaine de baguettes minces marquées à leur extrémité inférieure d’un certain nombre de points rouges. C’est un marchand de berlingots, et ses baguettes remplacent la roue grillée de nos forains : chaque client tire au hasard trois baguettes, calcule la somme des points, choisit son lot et paye. Plus loin, sont installés des pâtissiers et des confiseurs ; leurs étalages, gâteaux ponctués, sucreries rouges au bout d’une paille, etc., sont aussi bizarres que peu affriolans, mais la foule consomme sans relâche. Voici des fruitiers : ils vendent des pimens rouges, des légumes de toute sorte, du macaroni, des faisans. Un autre artiste confectionne des beignets : il prend deux morceaux gros comme un doigt d’une pâte consistante ; il les aplatit légèrement à la main, les accole l’un à l’autre, y imprime en travers une rainure à l’aide d’un bâton, et les plonge dans la friture en tenant d’abord avec les doigts les deux extrémités qu’il étire doucement. Au bout d’un instant, il les abandonne, et alors, sur la surface de la friture, flotte, grésillant, un énorme beignet joufflu, doré, long de vingt centimètres, épais de cinq ou six. Il le cueille avec une écumoire et recommence la même opération... Le respect humain m’a seul retenu de goûter !

Grâce à l’obligeance d’un officier de police russe qui me donna un homme pour me guider hors du dédale où je m’étais égaré, je gagnai, vers une heure, l’hôtel européen. C’est un hôtel anglais : seulement, il est tenu par un Allemand, servi par des Chinois et fréquenté par des Russes. On nous y a servi à l’anglaise, et le Christmas pudding n’a pas manqué. Au dessert, le major russe nous apprit que la peste était en recrudescence parmi les indigènes, et que l’hôpital était plein...


Le port qui doit faire un jour concurrence à Inkoo est Dalni : c’est, je pense, l’une des plus belles créations des Russes en Extrême-Orient. Ils se sont dit avec raison que le colossal ruban ferré transasiatique devait aboutir à un grand port, et, ce port, ils résolurent de le créer de toutes pièces. Port-Arthur ne pouvait en effet servir qu’à installer une place de guerre. On choisit donc