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des terrains chinois et en fixa le prix ; on donna aux paysans un délai pour déloger. A l’expiration du délai, ils étaient toujours là. On fit tout bonnement venir au poste les plus récalcitrans, et là, le chef de la police, M. M..., que vous connaissez et que connaît toute la Sibérie, les fit paternellement fouetter. Après quoi, on démolit leurs bicoques. L’opération faillit même avoir des suites fâcheuses, car les Chinois, furieux, attaquèrent les ouvriers à coups de pierres, et ne cédèrent qu’à la force armée. »

Je n’aurai pas l’indélicatesse de désigner celui des deux récits que je tiens pour le plus vraisemblable...

Quoi qu’il en soit, une belle ville s’élève peu à peu sur le théâtre de cette idylle russo-chinoise, et, bien que les bruits les plus fâcheux circulent en Mandchourie sur les travaux auxquels Dalni donne lieu, et sur les excès qui s’y commettent, j’admire très sincèrement Dalni, La ville sera divisée en quartiers : administratif, commercial, européen et chinois. Le premier seul est en voie de construction. Dans une partie saine, assez élevée, et proche de la gare, se trouvent, outre le palais que s’est construit M. S..., diverses maisons d’ingénieurs et d’employés, un hôtel, un hôpital et une église. Les rues sont étroites comme des rues japonaises, mais soignées, bordées de trottoirs, de lisses et de caniveaux. Les maisons ne sont pas déplaisantes au premier coup d’œil ; elles offrent un bizarre mélange d’architecture anglaise et d’ornementation chinoise. A l’intérieur, elles sont inconfortables pour des Russes, gens accoutumés à avoir partout leurs aises ; les pièces et les communs sont de dimensions exiguës. Pour justifier l’étroitesse des rues, M. S... dit que, à part sa voiture, on n’y verra guère circuler que des pousse-pousse ; pour justifier l’étroitesse des maisons, il les dit commodément distribuées. Ces réserves faites, le quartier administratif a de l’allure, il est très propre, et c’est un plaisir que de s’y promener, d’y faire des visites, et d’y examiner l’hôpital si bien installé, si complot, si généreusement conçu.

Pour les autres quartiers, ils sont encore à l’état de chaos. On y trace des rues, des avenues, on nivelle des monticules gênans, et l’on pose des bordures de trottoirs. Les Chinois, qui seront plus tard relégués au loin, sont entassés, en attendant, dans les rues étroites et dans les frêles fanzas d’un quartier éphémère qui se dresse entre la gare et l’administration. Il y a