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de sifflet discordant au milieu d’applaudissemens bien gagnés, se permettent de faire en scène des gestes ultra-naturalistes… » Ces conseils dénoncent suffisamment et la provenance du chanteur et son caractère d’amateur.

Mais encore, et quoique amateur, le chanteur de café-concert est-il au moins un chanteur, entré au café-concert pour y chanter, tandis qu’on ne peut même pas en dire autant de la chanteuse, qui n’y représente, en général, et de façon nettement définie, qu’un objet de prostitution. Elle n’est pas là, comme au théâtre, dans un monde dangereux et mêlé où les circonstances la poussent à la galanterie, mais dans un mauvais lieu avoué, et l’annonce suivante, citée par M. Auguste Germain, dans Les Agences dramatiques et lyriques, marque bien sa destination : « On pouvait lire sur une petite affiche en caractères manuscrits, placardée dans le quartier des Halles : Avis aux ouvrières sans travail. On demande des jeunes filles sans ouvrage POUR TRAVAIL FACILE ET LUCRATIF… s’adresser, etc. » Cette affiche serait toute une révélation, s’il y avait encore là quelque chose à révéler, et les demandes des cafés de province, couramment insérées dans le Courrier des concerts, la rappellent d’ailleurs presque toutes. On y lit, par exemple : « Concert L…, à B… : on demande des dames jeunes, belles toilettes, n’ayant jamais chanté à B… » Et, plus loin : « Concert du Port, à B… : on demande des artistes dames anglaises et françaises… » Et, plus loin encore : « Concert Parisien, à T… On demande de suite, des artistes dames jeunes… » Pourquoi donc toutes ces indications sur l’âge, les toilettes, la langue parlée par ces dames, et l’inédit de leurs personnes, quand on ne s’inquiète ni de leur talent, ni même du genre de leur voix ? Pourquoi leur annonce-t-on un travail facile et lucratif, s’il s’agit vraiment de chanter sur une scène, et quand leurs appointemens de chanteuses sont absolument dérisoires ? C’est qu’en réalité elles ne viennent pas à T…, à V… ou à S…, pour y chanter, que le chant pour elles est purement accessoire, et que le lucre, s’il y en a, n’est pas dans leurs appointemens ! Aussi le bataillon féminin des cafés-concerts ne se recrute même pas, mais se racole, et par les procédés habituels du racolage. L’« ouvrière sans ouvrage, » la pauvre fille qui ne sait plus où gagner-son pain, ou n’a plus le courage de le gagner, c’est là le triste gibier ordinairement chassé par MM. les directeurs de débits lyriques, et que Paris