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plancher, les bocks sur les soucoupes. Mais la salle, aux quatre cinquièmes vide, n’en résonne que plus lugubrement, et, derrière les chanteuses, le décor, tout crevassé, vacille et boite comme un vieux paravent... Elles sont là une demi-douzaine, assises en demi-cercle, l’une en marquis Louis XV, une autre en toilette blanche, une troisième en robe rouge, une quatrième en tutu, une cinquième en jeune homme du monde, avec le frac et la perruque frisottée... Enfin, au milieu des cris, le marquis Louis XV se lève, entame une froide indécence, l’achève péniblement, descend de l’estrade, et fait la quête en tendant une assiette :

— Allons, messieurs, pour l’artiste...

Et le triste marquis circule entre les tables, remonte ensuite à sa place, puis la toilette blanche quitte sa chaise... D’un geste, elle rejette une mauvaise palatine pelée, découvre des bras énormes, étale un décolletage débordant, et commence, d’un air bonne fille :


Y en n’a pas des masses...


C’est un succès, on applaudit, et on pousse même quelques hurrahs quand elle descend quêter et quelle demande, en se tapant sur le flanc :

— Allons, mes enfans, c’est pour le petit qui est là :... Qui est-ce qui donne pour la layette ?...

Et la femme en rouge succède à la toilette blanche, la danseuse en tutu à la femme en rouge... C’est le tour de la chanteuse en frac... Mais un coup de théâtre se produit avec celle-là... Elle chante d’abord, comme les autres, puis elle vient prendre l’assiette, la met sous son bras, plonge les mains dans ses poches, et fait le tour de la salle en criant à tue-tête :

— Ne donnez pas, c’est pour la boîte !... Elles disent que c’est pour elles, mais c’est pour la maison !... Moi, je m’en moque, je m’en vais ce soir... Ne donnez pas, c’est pour l’établissement :...


XIV

Ainsi, rien qu’à Paris, plus de trois cents cafés-concerts, music-halls, débits-chantans ; des « bouibouis » dans tous les quartiers, des bastringues et des « caboulots » dans toutes les