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à éclairer la navigation sur le détroit[1]. Il est donc juste de reconnaître que, si cette tour monumentale, conçue sans doute tout d’abord dans un accès de vanité, fut aménagée pour servir en même temps de phare, une œuvre si utile contraste heureusement avec les folies ordinaires de l’extravagant empereur et toutes les parodies de sa pseudo-campagne contre les Bretons. Pour une fois peut-être, Caligula aurait fait acte de bon sens, plus sage en cela que les sénateurs qui se plaisaient à railler cette construction utile entre toutes, et à la qualifier de monument d’un ridicule orgueil. Mais on l’a dit bien souvent avec raison : l’histoire de l’empire romain est pleine de contradictions du même genre, et plus d’un monstre ou d’un fou s’y présente quelquefois comme l’auteur d’excellens décrets qui honoreraient le règne d’un sage

Il est cependant fort possible que la Tour d’Ordre de Gesoriacum n’ait été dans le principe qu’un monument d’ostentation et purement triomphal, placé sur le lieu même où s’effectuait le passage de Gaule en Bretagne. L’honneur de l’avoir utilisé pour la navigation peut très bien revenir à quelqu’un des proches successeurs de Caligula ; et c’est très probablement à la même époque et dans la même intention que fut construite, de l’autre côté du détroit, la grosse tour de Douvres dont il reste encore une imposante ruine.

Quoi qu’il en soit, la tour de Caligula paraît avoir été soigneusement entretenue pendant toute la durée de la domination romaine en Gaule ; et un médaillon en bronze de l’an 191, sur lequel l’empereur Commode porte le titre de Britannicus, représente d’un côté le buste lauré de l’empereur, de l’autre une tour à quatre étages au pied de laquelle évoluent deux navires et trois barques. C’est évidemment la flotte britannique et le phare qui l’éclairait. Le monument a été très probablement abandonné à l’époque des invasions barbares ; mais il fut réparé à titre de phare, en 811, par l’empereur Charlemagne, lorsqu’il vint à Boulogne où il avait rassemblé sa flotte, à la veille de l’expédition qu’il préparait contre les pirates normands, et il a été conservé avec cette affectation pendant toute la durée du moyen âge.

On sait le rôle que cette vieille tour a joué comme poste avancé

  1. Egger, Notice sur la Tour d’Ordre, Revue archéologique, 1863.