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d’attaque et de défense pendant la désastreuse occupation anglaise de 1544 à 1559. Elle fut alors entourée de remparts en briques formant une enceinte étoilée avec redans et bastions, et transformée en citadelle munie d’artillerie. C’est alors qu’elle prit le nom de « Tour d’Ordre » ou « d’Odre, » dont l’étymologie est assez incertaine et qu’on a complaisamment expliqué quelquefois par une corruption de turris ardens. Il est probable cependant qu’elle portait tout simplement le nom d’une ferme voisine qui s’appelait l’Hosdre. Le grand effet qu’elle produisait, dressée comme un géant debout, au sommet de la falaise, l’œil de feu qu’elle projetait toutes les nuits autour d’elle, lui donnaient l’air d’un personnage réel ; et on l’appelait quelquefois aussi, dans le langage vulgaire, « la tour du Bonhomme, » « l’Homme noir, » « l’Homme vieil, » the old man, comme disaient les Anglais ; et les philologues celtisans et gaélicisans n’ont pas manqué l’occasion d’y voir une transformation de Alt man — Alt, altus, élevé ; man, maen, men, bloc, pierre, pierre plantée, comme on le voit dans Men-hir. L’étymologie est un peu subtile peut-être, mais fort ingénieuse et, à la rigueur, aussi vraisemblable que bien d’autres couramment adoptées.

L’édifice, transformé en fort redoutable et consolidé par les Anglais, résista à tous les assauts des hommes ; et il serait certainement encore debout, si les vagues de l’Océan n’avaient peu à peu sapé la base de la falaise qui lui servait de socle gigantesque, et si le travail souterrain des sources qui la traversent et l’exploitation inconsidérée des carrières qui l’entourent n’avaient disloqué et désagrégé tout le massif.

A la suite de quelques coups de mer violens, en deux ou trois fois, de 1640 à 1645, le fort et la tour s’écroulèrent avec fracas ; et dans l’intervalle d’une chute à l’autre, on ne fit rien pour conserver quelques ruines d’un des monumens les plus grandioses peut-être de l’époque romaine. Seules, les chroniques et les descriptions que l’on peut recueillir dans les histoires manuscrites de Boulogne et quelques esquisses très peu postérieures à l’époque de la chute permettent de reconstituer le monument d’une manière à peu près exacte[1]. « Située, dit M. Egger, d’après le dépouillement consciencieux qu’il a fait de tous ces

  1. Voyez notamment au Cabinet des Estampes une gravure de 1619 ayant pour légende : Bologna in Francia. Torre antiquissima nella quale vi hanno fatto una fortezza d’intorno l’Anglesi per guardare la marina.