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les chemins ombreux du bois, à tous les carrefours où se dressent des pierres tombales, les pieuses petites lampes s’allument sitôt la nuit venue, et il y a des musiques, des offrandes, des fleurs. Les moindres temples ou simples autels, consacrés aux divinités inférieures des arbres, brillent de mille petites flammèches tremblotantes. Là, je suis admis, et, sous l’enlacement des palmes qui font subitement l’obscurité si noire, je m’en vais errer, au hasard des musiques entendues, au hasard des lumières qui m’attirent.

Voici d’abord un pauvre temple très humble, très vieux, aux colonnes de granit fruste, infime au pied des arbres qui s’élancent pour se perdre au-dessus de lui dans le noir. Il est enguirlandé de fleurs et d’ornemens en roseaux tressés. Des lampes minuscules, à huile de cocotier, partout accrochées, y jettent d’innombrables lueurs de luciole. Au fond, dans le recul de deux ou trois petites salles, apparaît le dieu, accroupi, horrible, à haute coiffure, à bras multiples, à visage vert de perroquet ; de jeunes chevreaux blancs, qui sont sacrés et familiers du sanctuaire se promènent alentour. Les adorateurs, demi-nus, avec des colliers de fleurs, se pressent devant la porte. Et le bruit des tambourins, des cornemuses, est couvert par le beuglement lugubre et continu des conques sacrées.

On m’accueille par des sourires de bienvenue, et on s’écarte pour me faire place, après m’avoir passé au cou des colliers en fleurs de jasmin très odorantes, dont le parfum, dans la chaleur lourde de la nuit, entête comme une fumée de cassolette.

Ailleurs, c’est à un carrefour du bois, sous un monstrueux figuier de cent ans. Autour d’une estrade en granit, qui supporte là d’antiques stèles funéraires, des hommes assemblés délirent au son des musiques. Il y a aussi des lumières, des guirlandes de roses et de jasmins, des offrandes de fruits et de graines. Une sorte de prêtre, d’officiant, homme des basses castes au visage tout noir, récite avec exaltation des phrases rituelles, entrecoupées par le fracas des tamtams. Derrière l’arbre, dans l’ombre, presque invisibles, se tiennent les femmes, qui, de minute en minute, jettent ensemble un long cri. et des enfans attisent par terre un feu d’herbe, dans la flamme duquel on vient, de temps à autre, passer les tamtams, pour les maintenir secs et sonores. Cependant, de plus en plus l’officiant s’exalte ; bientôt le voici possédé d’un Esprit terrible ; en hurlant il veut se briser la tête contre