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XIII

Mercredi 3 janvier. — Un incendie subit, derrière la futaie des palmiers : c’est le soleil qui se lève. Et ma barque, qui s’était échouée plusieurs fois cette nuit, touche pour tout de bon la vase, s’arrête au pied d’une colline de terre rouge ; c’est la fin des lagunes, le port de Trichur, encombré d’une centaine d’autres barques, aux proues de gondoles, qui dorment encore

Trichur, la vieille ville très brahminicale et très conservatrice, est à une demi-lieue plus loin, enfouie dans les arbres ; elle s’éveille à peine, quand j’y arrive en charrette à bœufs. Au-dessus de ses maisons de bois et de chaume, ses palmiers se remuent, secoués par un grand vent presque froid qui soulève en nuages une poussière de couleur ardente, comme de la poudre de sanguine. Avec ses petites boutiques de marteleurs de cuivre ou de marchands de graines, ses allées de grands banians chevelus, elle ressemble à toutes ces autres villes du Malabar, qui continuent leur existence de jadis, loin de la côte et des choses modernes, au milieu des bois. Mais son temple est particulièrement énorme et terrible, — car elle porte aussi le nom de Tivu-Sivaya-péria-vur, qui signifie Saint-Shiva-grande-ville.

Je mets pied à terre devant ce temple, qui est en même temps une forteresse et qui soutint le siège de Tipu, redoutable sultan de Mysore ; on y monte par des glacis, sur lesquels à cette heure dorment couchés d’indolens troupeaux de moutons et de zébus. En me voyant approcher, des brahmes, qui méditaient dans l’encadrement de l’une des portes et regardaient monter le soleil matinal, s’avancent très inquiets : est-ce que cet étranger aurait la pensée ?… Mais je leur dis que je sais, que je viens seulement pour admirer les sculptures des tours, en me tenant à distance respectueuse. Alors ils saluent en souriant, et rentrant dans le sanctuaire sans plus s’inquiéter de moi. Les lourdes murailles sont blanchies à la chaux, mais les quatre portes, aux quatre vents du ciel, sous les monstrueuses tours sculptées qui les couronnent, ont gardé la couleur chaude et sombre des granits indiens. Et ces tours brunes, d’un archaïsme très lointain, se composent d’ornemens à profusion, de colonnades et de barbares figures.

N’étaient ces rafales d’hiver qui tourmentent toutes choses,