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pose en « citoyen d’Europe, » « haïssant la tyrannie ; » tantôt, avec « une franchise républicaine, » il se déclare « bon et loyal patriote allemand, » et l’on ne l’entend plus parler alors que de la « constitution impériale » et des devoirs des princes envers le chef de la Germanie. S’il prend la Silésie en 1740, c’est « pour le véritable bien de la maison d’Autriche, » c’est « pour la paix et l’équilibre de l’Europe. » Et de même, à l’origine de la guerre de Sept ans, c’est pour gagner l’appoint de tous les petits États à politique indécise du centre de l’Allemagne qu’il « sonne le tocsin » contre les Habsbourgs, et s’écrie que, « jusqu’à son dernier souffle, il défendra la grande patrie contre l’Europe ; » « il ne sera pas dit que, tant qu’il y a un Prussien en vie, l’Allemagne manque de défenseurs. »

Plutôt que dans ces phrases de rhétorique diplomatique, c’est dans les actes et les opérations politiques du conquérant de la Silésie qu’on trouverait l’objet, la raison de la politique allemande de Frédéric ; c’est surtout dans l’histoire de cette guerre de Sept ans, où il lutta pour la liberté germanique en même temps que pour l’existence de la Prusse, et qui groupa en effet autour de lui, bien avant le temps de sa « Confédération des Princes, » les intérêts et les aspirations naissantes du patriotisme allemand. Le premier parmi les souverains prussiens, Frédéric a rompu le lien qui liait encore la Prusse à l’Empire ; il a fait de la Prusse un État indépendant, défenseur de la Réforme et protecteur attitré de l’Allemagne ; il a réveillé chez les Allemands le sentiment de la liberté et de l’orgueil national, identifié le nom de la Prusse à l’idée de l’indépendance germanique, et, parfois, l’on croirait qu’il a presque entrevu dans ses rêves l’image d’une Germania nouvelle, libérée de l’Autriche et reconstituée sous l’égide prussienne.

Il va sans dire qu’il ne faudrait pas exagérer, dans cet ordre d’idées, la thèse que les historiens d’outre-Rhin appellent du nom de mission historique de la Prusse, et prétendre que toujours et partout Frédéric a lutté, vaincu, vécu pour l’Allemagne et pour le protestantisme. Sa politique est avant tout anti-autrichienne, non seulement parce que l’Autriche opprime l’Allemagne ou le protestantisme, mais parce qu’en fait la Prusse ne peut s’accroître qu’aux dépens ou en dépit de l’Autriche. « Les Autrichiens sont nos véritables ennemis, » dit-il dans son Testament politique. Il dépouille et démembre l’Autriche, mais au profit de