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Mais tout cela se chantait à voix basse. Les méchans étaient encore contenus par le respect et par la crainte de déplaire au maître. D’ailleurs qui pouvait savoir si quelque grand succès n’allait pas, dès le début de la campagne, couper court à ces ma lices, et établir d’une façon solide la réputation du jeune prince ? L’attente et l’anxiété étaient grandes, surtout quand on sut que l’armée du Duc de Bourgogne avait marché vers Bruxelles, et n’était plus qu’à trois ou quatre lieues des ennemis. Chaque jour, on s’attendait à quelque action importante. Mais comme la nouvelle d’aucun engagement décisif n’arrivait à la Cour, comme le Duc de Bourgogne demeurait toujours dans son camp de Braine-l’Alleud, ils prenaient bientôt de la hardiesse, et s’en allaient répétant :


Il sied mal d’être Fabius
A l’âge d’Alexandre.


L’heureuse surprise de Gand et de Bruges les réduisit au silence pendant quelques jours, et remplit au contraire d’espoir ceux qui tenaient pour le Duc de Bourgogne. La Cour s’était transportée depuis le 18 juin à Fontainebleau. Nous trouvons le tableau des sentimens qui l’animaient alors dans les lettres de Mme de Maintenon, et dans celles que sa secrétaire, Mlle d’Aumale[1], écrivait presque journellement aux dames de Saint-Cyr. Rien ne rend mieux que ces lettres, les émotions par lesquelles toute la Cour passait. « J’ai oublié de vous mander, écrivait Mme de Maintenon à une religieuse de Saint-Cyr, que Monsieur le Duc de Bourgogne me fait l’honneur de m’écrire qu’il se recommande à vos prières. Vous ne pouvez trop prier Dieu d’achever son ouvrage dans ce prince qui se conduit si parfaitement. Il me mande qu’il ne dira point qu’il fait du mieux qu’il peut, parce qu’il ne diroit pas vrai, et qu’il pourroit faire mieux, et que tous, tant que nous sommes, nous pourrions faire mieux que nous ne faisons[2] ; » et dans une autre lettre à la Princesse des Ursins : « M. le Duc de Bourgogne commence parfaitement bien. Il se fait aimer des officiers ; il se fait craindre sur le relâchement de la discipline ; il entre dans tous

  1. Nous avons tout récemment publié avec M. Hanotaux un Mémoire sur Madame de Maintenon et quelques lettres inédites de cette très aimable et spirituelle personne.
  2. Lettres historiques et édifiantes, t. II, p. 235.