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les détails ; il veut qu’on lui donne des avis de tous les côtés, et ce que je vous dis, Madame, n’est point flatterie. Je le sais par des gens qui me diroient le contraire s’il le méritoit[1]. »

A Fontainebleau, on était donc plein d’espoir. L’affaire de Gand et de Bruges mettait tout le monde en joie. On s’abordait en riant dans les cours du palais, et les gens sortaient de leur naturel. La jolie Mme de Dangeau, ordinairement si calme, déchirait sa chemise. La vieille Mme d’Heudicourt embrassait le Roi. De deux jeunes demoiselles que Mme de Maintenon avait amenées avec elle à Fontainebleau, l’une sautait comme une chèvre, l’autre mettait un habit neuf, et toutes deux buvaient à la santé du Duc de Bourgogne « rubis sur l’ongle et à rouge bord. » Mlle d’Aumale, qui nous donne avec vivacité ces détails, ajoute en parlant des habitans de Bruges : « Toute la nuit ils ont bu, et ils étoient saouls comme des cochons, de joie d’être sous leur roi légitime[2]. »

Cette joie devait être de courte durée. En effet, le 14, entre midi et une heure, au moment où le Roi sortait du Conseil des Finances, arrivait un valet de pied du Duc de Bourgogne, qui apportait, dit Dangeau, « la triste nouvelle d’un grand combat en Flandres où nous n’avons pas eu l’avantage... » « Le soir, dit-il encore quelques lignes plus bas, il arriva un autre courrier : il ne mande aucun détail qui puisse nous dire comme l’affaire s’est passée, et ce que nous en savons en gros, c’est qu’elle est mauvaise[3]. » Dangeau n’en dit pas davantage, non plus que Sourches, sur l’impression produite par ces fâcheuses nouvelles, et c’est encore aux lettres de Mlle d’Aumale et à celles de Mme de Maintenon, écrites sous le coup même des événemens, qu’il faut nous reporter.

Laissons parler d’abord Mlle d’Aumale, qui va nous peindre, avec sa vivacité coutumière, l’émoi de la Cour : « Je vais répondre à vos questions le moins bêtement que je pourrai, écrit-elle à une de ses amies de Saint-Cyr. Il y a peu de morts. M. de Vendôme a eu trop de confiance, et a donné un combat sans ordre et sans presque de préparation. M. le Duc de Bourgogne étoit de tous les bons avis, mais il avoit ordre d’obéir à M. de Vendôme.

  1. Geffroy, Madame de Maintenon d’après sa correspondance authentique, t. II, p. 165.
  2. Lettres historiques et édifiantes, t. II, p. 241.
  3. Dangeau, t. XII, p. 184.