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Beaudouin, très bien nommé Bras de Fer, eut la témérité de s’éprendre, vers l’an 860, de la propre fille de son roi et la bonne fortune d’être très bien accueilli par elle. Mais Charles le Chauve ne le trouva pas, parait-il, d’assez bonne maison pour épouser régulièrement une petite-fille de Charlemagne. La jeune princesse fut probablement aussi de cet avis ; et, pour éviter toute discussion inutile, elle n’hésita pas à partir avec son ami le forestier. Ce fut un gros scandale. Le cas était en effet plus grave pour l’époque que de nos jours où des incartades du même genre ne sont que des faits courans de la grande chronique mondaine et internationale. Le pape Nicolas Ier fut saisi de l’affaire et tout d’abord excommunia les deux inculpés. Ceux-ci prirent la chose assez bien pendant un certain temps ; mais, au bout d’un an, ils jugèrent convenable de régulariser leur situation et allèrent faire pénitence à Rome. L’excellent pape fut touché de leur repentir, et s’empressa de leur donner l’absolution. Mais la jeune princesse avait l’esprit assez pratique, et le sacrement de la pénitence n’était certainement pas celui qui lui tenait le plus à cœur. À sa prière, le pape intervint auprès du roi, lui conseilla de tout oublier, d’accepter les faits accomplis. Le roi se laissa fléchir, et le mariage eut lieu. Tout eût été pour le mieux si, conformément aux mœurs royales de l’époque, Charles le Chauve n’avait tenu à doter généreusement sa fille et à lui donner en toute suzeraineté la province de Flandre, qui fut ainsi distraite de la couronne, à charge seulement pour sa suzeraine de lui devoir un hommage fictif et de pure forme. Cette séparation n’eut pas de graves inconvéniens tant que dura la ferme autorité de Bras de Fer ; mais, sous ses successeurs, les Normands expulsés ne tardèrent pas à reprendre l’offensive, très souvent même le dessus ; et pendant plusieurs siècles la Flandre fut une véritable terre d’invasion presque toujours fort mal défendue[1].

Après les Normands, ce furent les Danois, puis tour à tour les Anglais et les Espagnols. Mardick cependant avait beaucoup déchu. Vers le XIIe siècle, son port était à peu près comblé. Le golfe de Saint-Omer devenait une lagune de plus en plus vaseuse ; et tout le pays n’était plus qu’un immense marécage dont les émanations décimaient les habitans. L’un de ces forestiers qui portait le titre de comte de Flandre crut apporter quelque

  1. H. Piers, Notice historique sur Gravelines, 1833.