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gardes du corps de M. le Comte d’Artois où le service est infiniment moins dur que dans celui du roy, mais M. d’Arjuzon et M. Garat me l’ont déconseillé, disant que ce corps est beaucoup moins bien composé que l’autre. J’ai hésité alors à entrer dans le corps de service de la reine où l’on m’avait promis un brevet de sous-lieutenant, mais j’ai refusé à cause de vous, car il m’aurait fallu aller occuper un poste dans une Inde... A propos des gardes du corps, je vous dirai qu’ils se sont beaucoup dégradés, dernièrement, par leurs violences à Beauvais. Ils étaient à la comédie et prétendaient ne point ôter leurs chapeaux, bien qu’on les en priât. Quelques spectateurs les sifflèrent. Furieux, ils sautèrent dans le parterre l’épée à la main et lardèrent une quinzaine de personnes. On dit que quatre d’entre eux ont été arrêtés et que le roy les abandonne à la justice. C’est une grande tache pour le corps tout entier... »

Passant ensuite à ses petites affaires personnelles, Jean prie sa tante de lui envoyer des cols, appelés « steinkerques » de « toile fine, parce que, à Paris, ils coûtent trente sols pièce, » des bonnets de nuit et des chemises, car « cette diable de blanchisseuse les maltraite atrocement en les nettoyant avec des vergettes qui sont dures comme des épingles de fer, et elle ne prend pas moins de six sols pour raccommoder le moindre petit trou. » Il prétend que les blanchisseuses de Paris n’emploient pas de savon et qu’elles se contentent de laver le linge dans la Seine, « qui est fort malpropre parce qu’elle sert de commodités à toute la ville, comme aussi de fontaine à l’Hôtel-Dieu où il y a 5 000 malades. » S’il demande ces objets de toilette, c’est qu’il tient à « être bien arrangé pour aller, de temps en temps, dans les compagnies ; » aussi vient-il de se commander « un habit à la grande mode, en drap de Silésie, avec une veste tissée d’argent, garnie de gros boutons comme celle de M. d’Arjuzon fils et de toute la jeunesse, et une culotte de satin noir, » ce qui lui coûte 72 livres ; puis il a acheté « des bas de soie fins » et « une paire de boucles de souliers charmantes, taillées en diamant, pour 39 livres. Ne dites ces prix à personne, car j’aurais honte d’être si économe, pensez donc : je trouve moyen, avec 2 000 livres, d’avoir l’air d’en dépenser plus de 9 000 :...

« Il ne me manque plus qu’une montre. Je vous le demande, quel est celui qui, dans une capitale, s’en passerait si longtemps ? Les moindres petits marmots, ici, en possèdent de superbes, et