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— C’est vrai, mais c’est qu’aussi ils ne gagnent guère. Quel est leur salaire, au juste ?

— 3 francs, 3 fr. 10, 3 fr. 20, suivant la classe ; quelques-uns 4 francs et 4 fr. 10 ; les apprentis 2 fr. 50, 2 fr. 60. Ce n’est pas énorme, mais, à Cherbourg, capitaine, ça permet de vivre, quand on ne boit pas et qu’on ne va pas godailler…

— Oui, malheureusement, on boit et on godaille quelquefois… Mais la femme ? Et les enfans ?…

— La femme gagne de son côté, et les petits dès qu’ils peuvent… Et encore il faut que je vous dise, capitaine, que bien souvent l’homme travaille après sa sortie de l’arsenal…

— Comment cela ? Et où ?…

— Un peu partout, ou même chez lui. Vous avez comme ça des ouvriers de l’arsenal qui font des souliers, des habits ; qui sont menuisiers, charrons, sans enseigne, bien entendu. Il y en a qui sont garçons de café, le soir, ou de brasserie ;… d’autres qui font venir des légumes, là-bas, du côté du Val-de-Saire…

— Ah ! fort bien. Avec cela j’ai toujours entendu dire qu’il y avait beaucoup de demandes pour être ouvrier de l’arsenal… Est-ce vrai ?

— Je le crois bien, capitaine : ici cinq ou six cents au moins ; à Brest, à Toulon, bien davantage. Voyez-vous, c’est à cause de la retraite. La retraite, pour nous, c’est comme le miroir pour les alouettes…

— Et c’est moins trompeur.

— Oui. Et aussi on est bien aise d’être assuré de son travail. A l’industrie, les soldes sont plus belles, mais on ne sait jamais ce qui arrivera. Ici, pour que ça manque, il faudrait, comme qui dirait…

— Un cataclysme.

— C’est ça, un… Bref, l’arsenal, c’est sûr, c’est solide…

— Ah çà ! Labove, voilà bien longtemps qu’on ne parle plus du travail à la tâche. Qu’est-ce que devient cette question-là ?…

— Oh ! capitaine, c’est une affaire bien compliquée ! Y en a-t-il eu des si et des mais là-dessus !… Enfin on y a renoncé, sauf pour les riveurs des constructions neuves, je crois. Personne ne s’y retrouvait, ni l’ouvrier, ni la direction.

— Comment donc ? J’ai toujours ouï dire que le travail à la tâche faisait l’affaire à la fois des deux parties : l’ouvrier gagne davantage et l’ouvrage marche plus vite.