Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/599

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« trop courte pour les longues douleurs, » c’est un de ses axiomes familiers. « Murmurer ou se plaindre, c’est s’opposer aux lois universelles ; » il faut se souvenir toujours qu’ « un malheureux de plus ou de moins ne change rien à l’ordre de l’univers. » N’y a-t-il pas un âge où « l’on doit avoir honte de jouer avec l’espérance comme des enfans avec une poupée ? » Patience donc, « patience par force : » chi ha tempo ha vita, et « quiconque ne sait pas résister au malheur est indigne de la bonne fortune. »

Par cette soumission fataliste à la destinée qui commande au monde et à l’homme dans le monde, Frédéric se relève à l’heure suprême où l’épreuve semble avoir pour jamais brisé sa volonté. La philosophie calme l’excès de sa souffrance ; elle ne suffirait pas à ranimer son énergie, elle n’est point un réactif, mais un modérateur, elle lui rend le calme, la patience, et lui permet de s’élever peu à peu au-dessus des événemens pour envisager « sans trop faire la grimace » cette scène dramatique. Et, dès lors, il est sauvé, — jusqu’à la crise prochaine, — car la force du tempérament va d’elle-même reprendre le dessus, car, le sang-froid une fois reconquis, rien n’arrêtera plus la poussée de la nature exubérante qui de nouveau l’entraînera violemment vers l’action. Regardez-le, après la défaite de Kunersdorf, lui si cruellement abattu tout à l’heure. Du jour où il a vaincu son mal, le voilà debout, mû par un ressort soudain, expédiant fiévreusement des ordres pour la reprise des hostilités, retrouvant toute l’ardeur d’autrefois avec l’exaltation de l’énergie virile, — « forçat enchaîné qui se débat pour rompre ses liens, » comme il dit lui-même à Catt. — Il ne parle plus que de « vaincre ou mourir, » de se faire « assommer » en chassant « ces barbares, ces incendiaires, ces infâmes ennemis, » et bientôt il sermonnera rudement Finckenstein : « Toute tiédeur est hors de saison, à des maux désespérés il faut des remèdes désespérés. Vous pensez que je suis un terrible médecin, mais c’est mon malade qui m’oblige à le tirer d’affaire par de pareils moyens, puisqu’il n’y en a pas d’autres… Pour moi, j’ai pris mon parti pour ne pas manquer de fidélité à l’Etat ; je le défendrai jusqu’à la dernière goutte de mon sang, et, si ma canaille m’abandonne, je n’y survivrai pas ! » La confiance et l’optimisme ont si vite repris sur lui leur empire que, moins de deux mois après le désastre, il voudrait réclamer des Anglais une promesse d’accroissement de territoires pour la Prusse, par la raison qu’il lui faut « du