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— comme les autres, — et qui de toutes les épreuves est sorti vainqueur : un homme d’action par-dessus tout, ardent et violent, optimiste, sanguin, exalté et souvent cornélien d’expression, ayant fait des fautes par excès de mobilité, de vivacité, mais ayant su toujours les réparer par l’adresse et la ténacité, ayant subi toutes les angoisses du désespoir et de la révolte contre le destin, mais ayant su toujours se relever par la philosophie ; philosophe, mais philosophe utilitaire et positif, n’ayant du sceptique ou du dilettante que les formes superficielles ; passionné enfin pour l’exercice de ses facultés de prince et de capitaine, pour son devoir de Serviteur d’État, lequel domine sa vie entière et l’ennoblit d’un rayon d’idéal.

Son génie semble né du choc de deux forces contraires, qu’on retrouve toujours présentes et qui souvent font apparaître en lui comme deux personnages distincts ; l’une est instinctive et innée, l’autre acquise et réfléchie : c’est celle de la nature et celle de la culture contemporaine, celle de l’esprit du siècle et celle de la race ou du passé. Deux forces inégales, et dont l’opposition est flagrante : le siècle est d’esprit abstrait, selon la tradition classique, de caractère sceptique et léger, tandis que Frédéric a par nature l’intelligence concrète et le tempérament exubérant d’énergie. A l’influence du siècle, Frédéric a pris le vernis de l’homme sensible et de l’intellectuel, il a pris cette finesse et cette sérénité de pensée, cette humanité délicate, cet amour des lettres, ce ton de modestie légère qui se retrouve dans la simplicité de ses manières de souverain, bref tout ce qui fait l’ornement d’une vie que la politique n’absorbait pas tout entière, et tout ce qui peut justifier son mot : « J’étais fait pour vivre en sage. » Mais ce qu’il prend surtout à la culture contemporaine, c’est cette raison logique qui l’aide à tirer de son cerveau concret des jugemens clairs et sûrs, c’est ce déterminisme patient qui l’aide dans la mauvaise fortune à dompter la violence de ses passions. La culture philosophique féconde son esprit, modère son tempérament

Elle aide en lui la nature, mais la nature créatrice reste prépondérante en lui. Les deux forces qui dominent en lui tout l’être, l’ardeur du tempérament d’action, la puissance de l’esprit positif, c’est à la nature qu’il les doit, c’est à sa race, au sang et au milieu de ses ancêtres. N’est-ce pas la nature qui a mis en son âme le sens de son devoir envers l’Etat, et, quelque réserve