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pas la victime, il fut aussi le directeur, deux fois en faillite, d’un théâtre italien que trente ou quarante opéras de lui, malgré la concurrence et la cabale, firent longtemps glorieux.

Son génie ressemble et sa destinée. Le musicien du Messie, — oui, fût-ce du Messie, — aime l’éclat extérieur, la pompe et les dehors splendides. M. Saint-Saëns nous écrivait un jour : « J’ai beaucoup étudié Hændel et, d’autre part, ayant eu la bonne fortune de fouiller dans la bibliothèque musicale de The Queen à Buckingham-Palace, j’ai eu la curiosité de voir ce qu’écrivaient les contemporains et prédécesseurs du grand homme et de chercher à comprendre pourquoi et en quoi il les avait éclipsés. Je suis arrivé à cette conviction bizarre, que c’est par le côté pittoresque et descriptif, alors tout à fait nouveau et inattendu, qu’il avait conquis l’étonnante faveur dont il a joui. Cette façon magistrale décrire les chœurs, de traiter la fugue, d’autres l’avaient comme lui. Ce qu’il a apporté, c’est la couleur, l’élément moderne, que nous ne savons plus voir en lui, — pour de bonnes raisons. Il ne saurait ici être question d’exotisme. Mais regardez à ce point de vue la Fête d’Alexandre, Israël en Égypte, surtout Allegro e Pensieroso, et tâchez d’oublier tout ce qu’on a fait depuis. Vous trouverez à chaque pas la recherche du pittoresque, de l’effet imitatif. Elle est réelle et très intense pour le milieu où elle s’est produite et où elle semble avoir été inconnue auparavant. »

Souvent mesquine et puérile même, plutôt que tout à fait inconnue avant Hændel, l’imitation, chez lui, peut atteindre au sublime : témoin certain air du Messie, où le Seigneur se vante, au bruit de roulades qui sont de vrais tonnerres, de pouvoir ébranler tout l’univers ; ou tel autre air de basse, dans le Messie encore, dont la mélodie embarrassée et tortueuse figure admirablement « les peuples qui marchent dans l’ombre de la nuit. »

Hændel est un grand décorateur. Il l’est avec une opulence, une fougue, une joie presque italienne, vénitienne même. Il couvre de musique des surfaces immenses. « Sa mélodie toujours également lumineuse et pure déroule ses nobles lignes comme une frise antique dans l’air transparent du Midi[1]. » Certains de ses chœurs par acclamation font songer aux psaumes de Marcello. Ce n’est pas à Dublin, où cependant il fut exécuté pour la

  1. M. T. de Wyzewa.