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l’est peut-être avec plus d’enthousiasme, avec la verve de la jeunesse et j’allais dire sa folie. Certains maîtres d’autrefois écrivaient sur leurs partitions : Soli Deo gloria. C’est au Dieu des armées que Hændel aurait pu dédier son Judas, la plus guerrière de ses œuvres sacrées.

Autant que des figures individuelles, Hændel en crée de collectives, et colossales toujours. Alors sa force et sa grandeur s’accroissent avec le nombre des personnages. Dans la plupart de ses oratorios, le chœur n’est pas, comme dans les cantates de Bach, composé des fidèles, mais du peuple juif ou des peuples ses ennemis. De là résulte (voyez par exemple Samson) un caractère national autant que religieux et souvent des oppositions de masses et des conflits grandioses. Derrière les héros, le chœur des prêtres ou des guerriers fait comme un fond qui donne aux personnages du premier plan encore plus de relief et de couleur. Le musicien du Messie ou de Judas Macchabée excelle à nous procurer, fût-ce en une phrase, en quelques mesures à peine, l’impression de la foule innombrable autant que de l’étendue infinie. Pleure, race de Juda ! Ainsi commence Judas Macchabée. Et vous vous rappelez les premières paroles du Messie : Comfort you, my people ! Divers de sentiment, les deux impératifs sont également catégoriques et en quelque sorte plus larges l’un que l’autre. Le commandement de douleur regarde toute une race ; c’est à toutes les races que s’adresse l’ordre d’espérer. Et les trois ou quatre notes qui l’édictent ont une telle ampleur qu’elles semblent porter en elles et comprendre pour ainsi dire en leur courbe immense tout le bienfait de la rédemption et le salut du monde entier.

Cette lumière, cette force qu’il répand et qu’il distribue ici, Hændel ailleurs (dans le Messie encore), la ramasse et la concentre. Il crée alors des figures isolées et gigantesques ; il écrit certains airs, comparables pour la taille, et je dirais volontiers pour la plastique, aux fresques de Michel-Ange. Si les prophètes de la Sixtine avaient une voix, j’imagine que c’est du Hændel, — et les airs du Messie, — qu’ils chanteraient.

Vous souvient-il comment Taine a parlé de Dryden, qui parfois inspira Hændel : « Il est soulevé, dit-il, par les beaux sons et les belles formes ; il écrit hardiment, sous la pression d’idées véhémentes ; il s’entoure volontiers d’images magnifiques ; il s’émeut au bruissement de leurs essaims, au chatoiement de