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Gouvernement : » ce serait retomber à la confusion de la morale et de la politique. Mais il a éveillé l’attention publique sur le danger de la subordination du « moral » au social, » et, en partageant l’erreur commune, du moins n’en a-t-il pas fait le tout de sa philosophie.

On doit autre chose encore aux économistes, si, les premiers, ils ont bien compris que l’arbitraire ou le caprice du législateur ne saurait aller à l’encontre des lois qui gouvernent l’évolution des sociétés. L’humanité n’est pas une argile dont la plasticité puisse docilement revêtir toutes les formes qu’un faiseur d’utopies essaiera de lui imposer, et nous sommes soumis à des nécessités dont nous ne pouvons éluder l’autorité contraignante qu’à la condition de commencer par nous y soumettre. C’est à Montesquieu que l’on fait généralement honneur d’avoir posé, si je puis ainsi dire, ce déterminisme historique. La vérité est qu’il n’a guère fait que l’entrevoir, et la conclusion dernière à tirer de son Esprit des Lois serait tout aussi bien, si l’on le voulait, que les hommes sont les maîtres des lois qui les régissent. Les lois du passé, celles du Latium ou du Malabar, de la Grèce ou de Bornéo, sont l’œuvre des circonstances, mais les lois de l’avenir, celles de la cité future, étant l’œuvre du calcul et de la raison, le seront donc aussi de notre liberté : voilà proprement ce qu’enseigne Montesquieu.

En réalité, ce sont les physiocrates, ce même Mirabeau, dont nous citions les paroles, c’est le chef de l’école, c’est Quesnay, qui ont introduit cette idée de « Loi naturelle » dans la philosophie politique du XVIIIe siècle, et on entend bien que la « Loi naturelle » des physiocrates est tout autre chose que la « Loi de nature » des Diderot et des Rousseau. Elle est même autre chose que « la Loi naturelle » de Voltaire. « Les lois naturelles de l’ordre des sociétés sont les lois physiques mêmes de la reproduction perpétuelle des biens nécessaires à la subsistance, à la conservation et à la commodité des hommes… Or, l’homme n’est pas l’instituteur de ces lois, qui fixent l’ordre des opérations de la nature et du travail des hommes… Il n’y a donc point à disputer sur la puissance législative quant aux premières lois constitutives des sociétés, car elle n’appartient qu’au Tout-Puissant, qui a tout réglé et tout prévu dans l’ordre général de l’univers : les hommes ne peuvent y ajouter que du désordre, et le désordre qu’ils ont à éviter ne peut être exclu que par l’observation exacte des lois naturelles. »