Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/670

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec les faits divers. Bref, il régnait partout un silence de mort. M. de la Borderie qui s’était déjà tracé tout un programme et qui voulait, coûte que coûte, le réaliser, se dit que la première chose à faire était de réveiller par tous les moyens en Bretagne le vieil esprit provincial qui avait été si puissant au XVIIIe siècle. Puisque l’on ne pouvait pas, dans l’état présent des choses, faire prévaloir ses idées en politique ; puisque l’opposition était muselée et réduite à l’impuissance, c’était une raison de plus pour se concentrer sur le terrain régional, pour étudier à fond et dans toutes ses parties l’histoire si attachante et si mal connue de la province bretonne. Et il commença par fonder des sociétés archéologiques là où il n’y en avait pas, à Nantes et à Vannes, et comme il n’y a pas de société durable sans esprit de corps, ni d’esprit de corps sans discipline et sans trait d’union, il lança, pour établir entre elles et lui un lien solide, la Revue de Bretagne et de Vendée qui devint par la suite l’organe officiel de la société des bibliophiles bretons. Cela fait, il ouvrit des enquêtes dans tous les sens, provoqua et multiplia les congrès, éveillant la curiosité des uns, l’esprit critique et d’initiative des autres en publiant à droite et à gauche, dans les bulletins des sociétés quand ce n’était pas dans sa revue, les documens qu’il tirait des archives et en les accompagnant de notes d’une information toujours sûre et de commentaires généralement judicieux. Et c’est ainsi qu’au bout d’un certain temps, sous son impulsion, sortirent des presses bretonnes des travaux historiques et archéologiques signés de noms appartenant à toutes les classes de la société et dont quelques-uns font autorité aujourd’hui. Mais je tiens à le dire tout de suite à l’honneur de M. de la Borderie, jamais cette œuvre de décentralisation qui fut si féconde ne prit la forme étroite ou la couleur suspecte d’un mouvement séparatiste. M. de la Borderie était trop Breton pour ne pas être fier d’être Français. L’amour qu’il portait à la petite patrie ne lui fit jamais oublier ses devoirs envers la grande. S’il admirait les héros de l’indépendance bretonne, il admirait davantage encore la bonne duchesse qui en mettant par deux fois sa main dans celle d’un roi de France maria pour toujours l’hermine aux fleurs de lys, et, il y a quelques années, à propos de telle société régionaliste dont il avait décliné la présidence, il m’écrivait : « J’espère bien que vous vous abstiendrez comme moi de patronner une œuvre qui m’a tout l’air d’être lancée par